«Finissez votre bière. Parce que tantôt, je vais arriver dans ma bulle gonflable géante...», prévenait Wayne Coyne quelques minutes avant le début du concert hier soir au Métropolis.

Les Flaming Lips sont peut être le seul groupe dont les punchs sont si jubilatoires que le chanteur peut les annoncer à l'avance sans en diminuer l'effet.

Quelques minutes plus tard, la bande d'Oklahoma émergeait des lèvres fécondes d'une nymphe cosmique qui se dandinait sur l'écran. On y aperçoit ensuite en oeil qui regarde la bulle de Coyne se gonfler puis rouler jusqu'à un parterre extatique. Déjà des frissons, et la première salve de space-rock n'est même pas encore vraiment commencée.

Le premier extrait d'Embryonic décolle finalement. Les ballons flottent et explosent, les confettis virevoltent, un arc-en-ciel illumine l'écran et Coyne beugle d'une voix étouffée à travers son mégaphone. De chaque côté de la scène se trouvent des danseurs - hommes qui ressemblent à des spermatozoïdes oranges, et femmes qui ressemblent à d'irrésistibles hôtesses de l'air des années 70.

Le délire est total. On dirait un malin génie qui malmène nos sens. C'est presque de la synesthésie. Un peu plus et on goûterait à ce prog-rock spatial déjanté, on entendrait ces mirages de couleurs.

Il nous manque un dictionnaire de superlatifs pour rendre justice à l'expérience. Et cela seulement pour les 10 premières minutes du spectacle.

Le reste ne décevra pas. Les Lips maintiennent la cadence avec d'autres grooves à la distorsion quasi saturée comme Silver Trembling Hands, où les cris cathartiques de Coyne se mélangent aux cris éthérés de Steven Drozd. Quelques classiques suivront, comme She Don't Use Jelly, illustrée sur l'écran par sa vision d'un jardin des délices. On pourrait consacrer toutes les lignes de ce texte seulement pour décrire ces géniales interactions entre la musique et la scénographie.La communion image-son est spectaculaire.

Et les humains derrière elle éblouissent. Même la rage devient un exutoire qui se célèbre. «Cette chanson-là, c'était en fait notre façon de dire : fuck you, fuck you, fuck you (à George W. Bush)», dit Coyne en présentant Yeah Yeah Yeah Song. Durant le crescendo, on avait plutôt de crier: «wow, wow, wow».

Même si la soupe de distorsion enterre parfois sa voix, l'interprétation reste toujours solide. Mais les Lips sont plus un groupe d'idéateurs que d'instrumentistes. Et des idées, il n'en manquera pas.

Les quelques extraits d'Embryonic sont suivis par de beaux souvenirs de l'album Yoshimi Battles The Pink Robots. «Is to love just a waste?», répète Coyne comme un mantra dans In The Morning of the Magicians, devant le visage d'une hippie des années 60 et d'un soleil qui s'éteint dans le désert. Avec d'autres formations, cela pourrait friser le cliché. Pas avec les Lips, ne serait-ce qu'à cause de la qualité de l'habillage musical. Ici, des maracas, une basse rêveuse et des notes ondulantes de guitares magnifient la pièce.

Il n'y aura finalement pas d'extraits de leur relecture de Dark Side of the Moon.  Pas grave, étant donné la qualité du reste du matériel.

Le spectacle avance en cercle. Ça se poursuit avec la douce Yoshimi Battles... I, jouée  avec une seule guitare acoustique et quelques discrets effets de claviers.

Vient après le déconnage d'I Can Be A Frog, où la foule se substitue à Karen O pour imiter une grenouille, un jaguar et les autres animaux invoqués par Coyne.

Il assénera ensuite un autre excellent extrait d'Embryonic - sauf erreur, Watching The Planets. «La vie peut être horrible, raconte-t-il en introduction. La seule chose à faire, c'est de l'affronter en face (be a motherfucker to it).» La musique devient encore plus brute et viscérale. Coyne termine la pièce avec des gants de mains géantes qu'il lève en toute puissance dans les airs.

Après l'épisode acromégalie, il saisit sa guitare pour jouer la vaporeuse attaque jazz-rock de Powerless. Des phrases déstabilisantes sont répétées, comme s'il voulait déclencher de force une épiphanie chez chaque spectateur. «It only happens if you try», chante-t-il. Mais la musique à elle seule suffit pour incarner cette ode à l'audace et la liberté.

Tout le spectacle sera une célébration de la vie, d'autant plus belle parce qu'elle n'exclut rien. Ni la frustration (She Believes), la confusion (The Sparrow...) le doute (In the Morning...) ou notre inévitable finitude (Do You Realize?). Coyne ressort toujours hilare de ces ruminations, avec la même vitalité féroce. 

Fidèles à leur habitude, les Lips ont conclu la soirée avec Do You Realize? et ses canons de confettis. Un échantillon rouge vif tombait sur notre clavier pendant cette sublime finale. Expérience sensorielle totale et jouissive, du début à la fin.