La communauté espagnole de Montréal était comblée en ce mardi. Non seulement, quelques heures plus tôt, le milieu de terrain David Villa avait-il procuré la victoire à l'équipe nationale contre le Portugal, mais encore ce triomphe serré pouvait-il être siroté à l'écoute du flamboyant Diego El Cigala, authentique protagoniste du chant flamenco.

Au Théâtre du Nouveau Monde, le bonheur se découpait en petites tranches. Rien de moins. Respecté des Espagnols, aimé de tant d'hispanophones et hispanophiles, ce natif de Madrid y métissait en direct la grande tradition flamenca, l'accouplant aux musiques populaires de La Havane et de Buenos Aires.

Même s'il quitte rarement son tabouret, le chanteur gitan occupe tout l'espace de la scène. El Cigala prend de petites gorgées d'un nectar orangé dont on ne connaît pas la nature exacte, et se lance immanquablement dans la prochaine chanson pour ainsi faire monter le taux de satisfaction.

Quelle tronche! Il pourrait fort bien tenir le rôle du Capitaine Crochet dans le prochain remake de Peter Pan mais bon, la caricature s'arrête drette là. Plus sérieusement, on dira de lui qu'il réunit toutes les caractéristiques du grand chanteur gitan: lointaines origines indiennes remarquables dans les traits, longue chevelure, bijoux clinquants, costume taillé sur mesure pour faire resplendir son aura.

Et, surtout, cette voix puissamment éraillée, ce timbre si singulier, ce cante marqué par les migrations nord-africaines, longs séjours chez les Maures avant les siècles passés en Andalousie, là où les ingrédients actifs du flamenco ont été réunis.

Cigala ne se contente pas de maintenir la pureté de ses ancêtres, puisqu'il la parfume de musiques afro-cubaines et de tango argentin. Le côté cubain, il faut dire, est encore plus présent dans l'instrumentation sur scène, soit la contrebasse et le chant de Yelsi Heredia (lui-même cubain), le piano de Jaime Calabuch. Ces deux musiciens chevronnés maîtrisent ce langage à n'en point douter, en plus d'insuffler quelques éléments jazzy à leur prestation.

Les deux autres accompagnateurs, eux, sont des «purs» du flamenco: très compétents, d'autant plus habités par ce style musical qui les habite jusqu'au bout des ongles, le guitariste Diego El Morao et le percussionniste Sabu Suarez se permettent quand même quelques incursions dans les cultures cousines fréquentées par leur employeur. Ce dernier leur laisse tout l'espace nécessaire à l'expression de leur talent, de longues improvisations ornent ses chants puissants et incarnés. Ce qui exclut tout diagnostic de racolage flamenco pop comme on aurait pu le craindre.

En somme, on aura eu droit à plus de deux heures de plaisir. Deux heures de métissage bien dosé pour les connaisseurs. Deux heures d'exotisme pour les profanes du genre.

L'exotisme pour les bonnes raisons!