Hank Jones, véritable monument du piano jazz, est mort dimanche à New York. Tous les connaisseurs s'entendent pour considérer ce pianiste parmi les plus doués de toute l'histoire du jazz. Certes l'un des plus fluides. Également l'un des plus ancrés dans le swing, caractéristique fondamentale du genre.

Depuis un moment, Hank Jones était hospitalisé à l'hôpital Calvary du Bronx. C'est ce que nous a appris le Montréalais Jean-Pierre Leduc, qui fut son manager au cours des deux dernières années après avoir supervisé ses enregistrements sur l'étiquette JustinTime - dont le récent Pleased To Meet You, enregistré de concert avec le pianiste montréalais Oliver Jones il y a deux ans et lancé en 2009.Cet album avait été réalisé à Montréal alors que le vétéran se produisait quatre soirs d'affilée au Festival international de jazz de Montréal, soit dans le cadre de la prestigieuse série Invitation. Oliver Jones, Joe Lovano, Brad Mehldau et Charlie Haden lui avaient chacun donné la réplique. À La Presse, Hank Jones a accordé plusieurs interviews au cours de sa carrière. Chaque fois, l'impeccable styliste a fait preuve d'une courtoisie, d'une humilité et d'une générosité exemplaires. Parole d'interviewer!

Hank Jones était le frère aîné du fameux trompettiste et chef d'orchestre Thad Jones, ainsi que du batteur Elvin Jones, sans qui le mythique quartette de John Coltrane n'aurait jamais été ce qu'il fut. Son jeu exemplaire s'est d'abord inspiré des premiers maîtres pianistiques du jazz moderne, à commencer par Art Tatum et Teddy Wilson. À l'instar de Nat Cole, Tommy Flanagan et (surtout) Oscar Peterson, Hank Jones a mené très haut les standards de son instrument dans un contexte jazzistique.

Même à quelques jours de ses 90 ans, son jeu était d'une clarté plus qu'étonnante. «Écoute-le... Aucune faute n'est repérable!» m'avait chuchoté Oliver Jones au Théâtre Jean-Duceppe. Tous deux assis à un des derniers concerts, nous partagions la même admiration pour l'aîné.

«Les médecins n'ont pu déterminer s'il s'agissait d'un cancer généralisé. Depuis plusieurs années, il était atteint d'un cancer de la prostate, mais lorsque vous avez 91 ans, plusieurs facteurs peuvent être la cause de la détérioration de votre santé, n'est-ce pas?» explique Jean-Pierre Leduc, joint hier à New York. Le manager montréalais, on s'en doute bien, a été au chevet du fameux jazzman afro-américain durant les derniers jours de son existence.

«Je l'ai visité hier et avant-hier. Dimanche, il avait perdu conscience alors que samedi il avait encore toute sa tête. Évitant de causer de sa maladie, il préférait s'enquérir de mes activités professionnelles. Bien sûr, je lui ai transmis les voeux de ses amis, certains lui ont rendu une dernière visite. Le saxophoniste Joe Lovano, un de ses proches, l'a appelé de Cleveland. Son vieux pote, le saxophoniste Frank Wess, 88 ans, est venu lui jouer de la flûte dans sa chambre d'hôpital. Le contrebassiste Martin Wind a même apporté sa contrebasse!»

Jusqu'à la fin de cet hiver, Hank Jones aura eu une vie très active. Il était même censé se produire au Birdland la semaine prochaine. «En 2009, relate Jean-Pierre Leduc, nous avons effectué six voyages en Europe! Sa disparition m'attriste au plus haut point, mais je dois admettre qu'il ne pouvait mieux finir sa vie. Quelques semaines de maladie, quelques journées vraiment difficiles, et c'est tout.»

L'ultime album du pianiste a été enregistré de concert avec le contrebassiste Charlie Haden. «Il sera lancé bientôt, précise Jean-Pierre Leduc. Cet enregistrement est composé de plusieurs pièces gospel. C'est proche de l'au-delà! Et, comme par hasard, l'album s'intitule Come Sunday, qui s'avère le jour de sa mort.»