Virtuose de la viole de gambe, époux de la célèbre soprano Montserrat Figueras avec qui il fait équipe depuis la fin des années 60, le Catalan Jordi Savall s'affirme comme l'un des plus éminents spécialistes de la musique ancienne telle qu'on la conçoit à notre époque. En marche depuis l'automne 2008, le projet dont il est ici question est certes l'un de ses plus considérables: à travers l'histoire de Jérusalem, imaginer l'équilibre idéal entre traditions musicales juives, chrétiennes et musulmanes.

Pas moins de 38 musiciens issus de ces trois traditions (souvent antagonistes au cours des deux derniers millénaires, est-il besoin de le rappeler) se retrouveront ensemble sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier, ce soir. En toute harmonie.

«Ce projet est né presque par hasard, c'est-à-dire avec la commande d'un concert de la Cité de la musique (à Paris) dont l'objet était de mettre en relief les trois religions monothéistes. Montserrat et moi avons alors pensé faire quelque chose autour de Jérusalem, une ville historiquement traversée par les religions juive, musulmane et chrétienne. D'entrée de jeu, on avait le sentiment que c'était presque impossible à réaliser. On nous disait que c'était de la folie que de vouloir mener à bien une telle entreprise», raconte Jordi Savall, joint à son domicile de Barcelone.

Or, une première clé fut rapidement trouvée et le projet prit forme, relate notre interviewé: «Nous sommes partis d'abord de la symbolique de Jérusalem, qui signifie la ville des deux paix. La première est la paix céleste, une vision commune aux trois grandes religions monothéistes. Nous avons démarré sur ce thème, pour finalement conclure avec celui de la paix terrestre, un espoir et un devoir. J'avais d'abord pensé à devoir et utopie mais j'ai préféré un peu plus d'optimisme!»

Ainsi, la paix céleste est symbolisée dans ce vaste concert (et aussi un magnifique livre-disque sur étiquette Alia Vox) par un chant d'origine juive, qui remonte à trois siècles avant Jésus-Christ. Ce chant se fonde sur une tradition orale araméenne très ancienne. Cette paix céleste est aussi symbolisée par un texte du Coran et un autre tiré de l'Évangile cathare.

Le corps du projet est divisé en cinq chapitres: Jérusalem, ville juive, ville chrétienne, ville de pèlerinages, ville arabe et ottomane, terre d'asile et d'exil.

«Pour chacun de ces thèmes, explique Jordi Savall, nous avons choisi des musiques de traditions très anciennes. Pour ce faire, nous sommes allés à Jérusalem afin d'y entendre des cantors, des chants sacrés dans les mosquées, synagogues, églises arméniennes, etc.

«Pour Jérusalem ville juive, par exemple, nous avons découvert un chant très pur qui provenait d'une communauté juive du nord de l'Afrique, encore plus vieille que la communauté séfarade, précise-t-il. Pour Jérusalem ville chrétienne, ce fut plus facile de retrouver les chants inspirés de manuscrits byzantins orthodoxes qui remontent au IXe siècle, sans compter des chants des Croisades du XIe siècle.

Le thème Jérusalem, ville de pèlerinages, est quant à lui décliné en trois chansons, dont l'une sur un texte d'Ibn Battuta (le Marco Polo arabe) et la Cantiga de Santa Maria, un chant chrétien qui raconte un miracle de la Vierge lors d'un pèlerinage. Des chants et danses soufis, ainsi que des pièces jouées à l'oud, évoquent bien sûr la Jérusalem arabe et ottomane.

«Jérusalem, terre d'asile et d'exil, s'illustre entre autres par des chants séfarades évoquant la migration obligée vers l'Orient après la Reconquista, par des lamentations arméniennes à la suite du génocide, sans compter un chant ashkénaze évoquant Auschwitz.

«Détail important, insiste Jordi Savall, nous avons fait en sorte que la représentation de chaque tradition soit équilibrée. Ce qui compte, en fait, c'est que les musulmans, juifs ou chrétiens se sentent tous très proches de ces musiques. Nous laissons à chacun leur manière d'exprimer leur foi, mais on vise d'abord à susciter l'espoir d'une entente entre les peuples.»

Inutile d'ajouter que Jérusalem se conclut par le souhait d'une paix terrestre. «Ça se termine avec ces mélodies ancestrales qui se retrouvent dans chaque religion, mélodies qui ont une origine commune et que chaque peuple a conservé avec sa langue, sa religion. Ainsi, chacun les interprète à sa manière avant de se retrouver ensemble. Voilà la véritable union; pour bien vivre ensemble, on ne doit pas renoncer à sa différence.»

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Le concert Jérusalem, la ville des deux paix: la paix céleste et la paix terrestre est présenté ce soir, 20 h, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.