L'auteure, compositrice et interprète soul britannique Corinne Bailey Rae revient ce soir au Club Soda, quatre ans après sa première visite au même endroit, à l'invitation du Festival de jazz. C'est cependant une jeune femme complètement transformée qui vient nous présenter un deuxième album né dans la douleur, intitulé The Sea, disponible depuis février dernier.

The Sea aurait pu devenir un tout autre album que cette viscérale et brillante collection de chansons soul et rock. Quelque chose de joli et inoffensif, par exemple, comme l'était son premier album, éponyme, daté 2006. Mais il y a eu ce drame qui la suivra toute sa vie et qui, triste paradoxe, lui a permis d'offrir le meilleur disque de sa courte carrière.

Il y a presque deux ans, son mari, le saxophoniste Jason Rae avec qui elle partageait sa vie depuis 2001, a été retrouvé mort dans un appartement. Surdose accidentelle. La musicienne travaillait alors à l'écriture de ce deuxième album. «J'avais déjà écrit sept des chansons du disque; les autres, je les ai composées après tout ça, après avoir pris une pause. Deux d'entre elles abordent la peine que j'ai ressentie», dit Bailey Rae, que nous avons retrouvée au Texas, en pleine tournée de promotion. «Je vois que les gens ont cette perception, comme si ce disque en était un de deuil et de tristesse. Ce n'est pas tout à fait le cas; après le décès, j'ai pris une longue pause, puis j'ai pris tout mon temps pour enregistrer l'album.»

Si on ne se défait pas d'une telle tragédie, l'artiste doit, elle, revivre ces émotions à chaque fois qu'elle monte sur scène, à chaque fois qu'elle interprète Are You Here, la chanson qui ouvre magnifiquement ce nouvel album. «Ça aussi, c'est une perception, corrige-t-elle. La réalité, c'est que je revis tout ça quotidiennement. Tous les matins, lorsque je me lève, c'est la première chose à laquelle je pense. On ne peut pas faire abstraction d'une perte aussi importante.»

The Sea est une coréalisation entre la musicienne, Steve Chrisanthou (il a aussi travaillé sur le premier album) et Steve Brown, «un professeur d'harmonie et musicien, je l'ai rencontré à 18 ans lorsque je travaillais dans les bars de jazz. C'est devenu un ami, et quelqu'un de très compétent; je voulais travailler avec des gens qui allaient me donner beaucoup d'espace, qui allaient bien comprendre où je voulais en venir avec ce disque».

«Le premier disque s'est fait en petit comité, enchaîne Corinne Bailey Rae. Pour The Sea, je voulais quelque chose de bruyant, de plus dynamique, avec de vrais instruments, un vrai groupe qui joue ensemble.» La touche jazz y est suggérée, les influences soul et r&b indissociables de sa voix au grain soyeux et un brin usé, mais l'artiste y revendique un côté indie rock qui fait le pont avec sa première incarnation.

«J'avais envie que les auditeurs s'imaginent que les chansons ont toutes été enregistrées en une prise, de manière très spontanée. C'est ce son-là, cette direction musicale, qui m'a incitée à poursuivre et terminer l'album.» Qui devrait vivre bellement sur scène, d'autant plus que la demoiselle s'y dévoile passionnée et incarnée.