Autant le reconnaître d'emblée: j'avais énormément d'appréhensions à propos du spectacle qu'allait donner Paul Piché hier soir à la salle Wilfrid-Pelletier: c'était une bien trop grande salle (près de 3000 sièges) pour un chanteur qui n'avait plus l'ascendant - et peut-être même plus la voix - qu'il avait il y a 20, 30 ans, voyons! Eh bien, j'avais tout faux: en ce vendredi soir, Wilfrid-Pelletier était bien rempli et Paul Piché était en feu!

Très en voix, Piché a en effet mis toute la salle dans sa petite poche de jeans en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire. À la première chanson (J'appelle), le public répondait en souriant d'aise. À la seconde (une toute nouvelle, Victimes et assassins), les applaudissements étaient vraiment chaleureux. À la troisième, qui a été reconnue dès le premier accord de guitare, tout le monde s'est levé et a tapé des mains pendant Y'a pas grand-chose dans le ciel à soir.

Ça s'est poursuivi à peu près comme ça toute la soirée, grâce à une liste de chansons très bien construite, qui mêlaient des chansons de tous ses albums depuis 1977 (Un château de sable, J'étais ben étonné, Heureux d'un printemps, Ne fais pas ça, etc.) aux dix nouvelles chansons (Jean Riant, Je pense à toi, Les ruisseaux, la belle Les oiseaux blancs...)de son récent et bon album Sur ce côté de la terre, lancé en décembre dernier, en évitant même de sombrer dans la nostalgie. Les toutes neuves comme les plus anciennes s'entremêlaient sans aucun heurt, tant les orchestrations rock-folk, au rythme très soutenu,  donnaient un coup de fouet à tout le répertoire.

Au risque de me répéter, ce qui était saisissant, c'était la voix de Piché, forte, solide, vibrante. Oubliée, la voix parfois plus fragile sur le dernier album ou moins juste comme elle l'était encore l'an dernier en spectacle. Est-ce parce qu'il a fait récemment beaucoup de spectacles dans de petites salles? Ou parce qu'il a travaillé ses cordes vocales autrement? Quoi qu'il en soit, Piché assure vocalement. Bon, c'est vrai, il bouge toujours un peu maladroitement sur scène, mais ça aussi, ça venait avec le gars il y a 10, 20, 30 ans... Disons qu'il a toujours l'air plus à l'aise avec une guitare entre les mains ou assis sur un tabouret, comme il l'a fait hier soir notamment pour une très belle version de sa si jolie chanson Mon cousin Jacques (1993) ou La vie (tirée du nouvel album)

Entouré de musiciens de fort calibre qui le côtoient depuis toujours - Rick Haworth aux guitares et à la direction musicale, Mario Légaré à la basse, Pierre Hébert à la batterie, Jean-Sébastien Fournier aux claviers et le fils de Piché, Léo, aux percussions - le chanteur de 56 ans était à la fois en terrain de connaissance et sol accidenté: il lui fallait se renouveler sans se défigurer, et il y est franchement parvenu. On soulignera que la sonorisation était adéquate, ce qui n'est jamais évident à Wilfrid-Pelletier, et que les éclairages d'Alain Lortie comprenaient notamment un arrière-fond piqué de centaines de petites ampoules qui ressemblaient à s'y méprendre à celles qui ornaient le défunt et ô combien regretté Spectrum...

Toute la soirée, le public a chanté, tapé des mains, même levé les mains et crié «Wo!» pendant la chanson Arrêtez et, en seconde partie, il n'a tout simplement pas cessé de se lever et de s'asseoir, que ce soit pour une ovation après L'escalier (très bien interprétée) ou pour danser pendant Ne fais pas ça (1999), La gigue à Mitchounano (1977), Ses yeux (1984), Sur ma peau (1988)...

Oui, il y avait bien sûr beaucoup de gens dans la quarantaine et la cinquantaine dans la salle. Mais il y avait aussi beaucoup de plus jeunes, manifestement ravis eux aussi d'entendre parler de gestes citoyens, de pays à rêver et à faire, d'espoir, d'amour et d'amitié, sans trace de cynisme ou d'acrimonie. Au rappel, quand il a terminé le spectacle avec Mon Joe, ça faisait juste très plaisir d'entendre cette chanson et de la chanter en choeur.

Avec ce spectacle, Piché démontrait une vérité toute simple: si le printemps précède l'automne, il lui succède aussi, puisqu'il revient toujours. Paul Piché et son public, hier, étaient heureux d'un deuxième printemps, d'un nouveau souffle. La tournée de Piché s'arrête à Québec ce soir, au Grand Théâtre, puis poursuit son «chemin des incendies» à Saint-Bruno, Gatineau, Val d'Or, Rouyn-Noranda, Amos, Matagami, Brossard, Valleyfield, Saint-Hyacinthe, etc.