En France, Pierre Lapointe est un peu comme le marin qui navigue à la voile contre les vents dominants. Et qui gagne sur la distance. Même s'il avance forcément moins vite que des concurrents qui ont équipé leur embarcation d'un moteur turbo.

Samedi soir, à la Cigale, une certaine Béatrice Martin s'était discrètement glissée dans la foule de spectateurs massés debout à l'orchestre pour le concert qui clôt la tournée de printemps de 17 dates de Pierre Lapointe. «Je suis venue voir à quoi ressemblait la Cigale vue de l'autre bout de la lorgnette», a-t-elle plaisanté, avant de s'éclipser vers la fin du show. Cinq minutes plus tard, tout aussi discrètement, elle se dirigeait vers les loges pour féliciter le héros de la soirée: elle le connaît d'autant mieux que, semble-t-il, c'est à l'invitation de Lapointe qu'elle a fait sa première apparition télévisée au Québec.

 

Inclassable

En octobre dernier, c'est la même Coeur de pirate qui remplissait une Cigale en folie, avant de poursuivre sa percée fulgurante. Mais, outre le fait qu'elle avait elle aussi reçu le soutien de parrains culturels de haut rang - l'hebdo Les Inrockuptibles notamment -, Coeur de pirate a eu cet avantage décisif d'avoir un tube sur la plupart des radios généralistes et musicales (sauf NRJ). L'arme absolue, en quelque sorte. Résultat: 225 000 albums vendus à ce jour. Et un calendrier bien rempli.

La situation de Pierre Lapointe est différente. «J'étais un peu inclassable au Québec, je le suis totalement en France, c'est donc plus difficile de connaître le succès instantané, mais je suis très heureux de ce qui m'arrive et de la fidélité de mon public», constate en fin de soirée le chanteur heureux et détendu.

Ce spectacle à la Cigale était l'avant-dernière date de sa tournée: «En un mois, on a fait 17 salles différentes, de 400 à plus de 1000 places, et partout c'était complet», dit son agente Jocelyne Richer. En guise de point d'orgue, cette soirée à la Cigale, où s'entassaient samedi soir quelque 900 spectateurs acquis à sa cause, et dont beaucoup connaissaient par coeur les textes de plusieurs chansons.

«J'appréhendais un peu cette soirée à la Cigale, explique Pierre Lapointe, car j'avais fait en octobre 20 spectacles à la Boule Noire, la petite soeur de la Cigale. Ce qui faisait environ 2500 spectateurs à l'automne. Mais finalement, ça a marché au-delà de toutes mes espérances. Comme quoi j'avais un public fidèle mais en expansion.»

Les radios frileuses

À l'ère du matraquage promotionnel, l'auteur de Sentiments humains fait donc plutôt dans l'artisanat: «Ce qui me fait avancer en France, ce sont les spectacles qui s'additionnent», dit-il. Au tout début, Au bar des suicidés a tourné un peu sur les radios, mais, comme le dit Élias Bouallagui, de la maison de disques (indépendante) Wagram, «aucune radio musicale ne l'a mise à son programme hebdomadaire». Comme dans d'autres pays, il n'y a plus une seule émission importante vouée à la chanson. Seule exception fugitive: «La chaîne M6 a un temps fait tourner le clip du Bar des suicidés. Mais c'est tout. Pour le reste, les télés sont frileuses.»

Pierre Lapointe n'est tout de même pas passé inaperçu: une chanson en direct en fin de soirée au talk-show de France 3, une intervention du téléjournal de France 3, etc. Mais tout ça ne fait pas Cap Canaveral: en bout de course, son album actuel en est environ à 10 000 copies, ce qui semble satisfaire la maison Wagram. Mais, en tout état de cause, Pierre Lapointe est davantage un artiste qui attire les spectateurs en salle qu'un vendeur de disques.

Et pour l'instant, il n'a aucune intention de concocter un «tube» sur mesure, formaté pour les radios musicales: «Ce que je vis aujourd'hui, c'est une progression plus lente. Et qui me donne beaucoup de satisfaction.»