Voilà de la visite rare. Henry Rollins, icône punk, prolifique touche-à-tout, infatigable globe-trotter et par-dessus tout monument de droiture. Lundi au National, il présentera un spectacle à mi-chemin entre la performance parlée et l'humour. Conversation échevelée où il est question des palais de Riyad, des bidonvilles d'Indonésie et de quelques «imbéciles».

«Je m'aperçus que le désir de toute ma vie n'était pas de vivre - si on peut appeler vivre ce que font les gens - mais de m'exprimer.» La phrase est de Henry Miller, mais Henry Rollins aurait pu l'écrire.

 

Après tout, elle résume sa vie adulte. Certes, Rollins ne possède rien du souffle de son écrivain fétiche, dont il a déjà publié un inédit (Dear Brenda). Mais il est aussi authentique et prolifique. Son CV: chanteur (Black Flag, Rollins Band), acteur (Lost Highway, Johnny Mnemonic), auteur (Black Coffee Blues, A Mad Dash), blogueur (Vanity Fair), éditeur indépendant ainsi qu'animateur télé et radio (The Henry Rollins Show). Sans oublier ses performances, où il parle de politique, de voyages et... de lui.

C'est pour un tel spectacle qu'il s'amène à Montréal. «Ces performances conviennent vraiment à la vie que je mène. Je me promène, j'observe et je rapporte ensuite sur scène ce que j'ai vu. Tu sais, j'ai maintenant 50 ans. Il me reste encore quelques tours de piste, et je veux en profiter pour faire des trucs différents. La musique, c'était bien, mais ça devenait répétitif», raconte Rollins, joint aux bureaux de 21 361, sa maison d'édition, à Los Angeles.

Immersion imposée

Sa tournée s'intitule The Frequent Flyer Tour. Sa devise: Knowledge without mileage equals bullshit. Car Rollins voyage, et beaucoup. Dans la dernière année seulement, son passeport a été tamponné au Sri Lanka, au Bangladesh, au Népal, au Sénégal, en Chine, en Arabie Saoudite et à Brunei.

«Chaque matin, je me réveillais le plus tôt possible, je chargeais ma caméra et je sortais me promener seul, raconte-t-il. J'enregistrais les bruits de la ville, je visitais les magasins de musique locaux et je parlais à un maximum de gens. Mon but, c'était l'immersion totale. Si je voyais une ruelle louche, je me disais: c'est pour moi. Et je m'y aventurais.»

On l'imagine là-bas avec son allure de sergent renégat, les poches pleines de barres énergétiques, les tatouages et les muscles qui débordent de son T-shirt trop serré.

Rollins en a vu, du terrain. Il se trouvait à Islamabad quand Benazir Bhutto a été assassinée. Les pneus brûlaient dans les rues, et les gardiens de son hôtel ont tenté de le dissuader de sortir. En vain. «Écoute, je ne suis pas brave, tient-il à préciser. Seulement curieux.»

Il a aussi goûté à l'opulence. «Un de mes bons amis est diplomate à Riyad, explique-t-il. Il m'a déniché un visa. Pendant une semaine, j'ai habité dans le palais d'un des 10 hommes les plus riches du monde. C'était cinglé. Pense au Four Seasons et multiplie par trois. Pour un seul gars. À l'intérieur du domaine protégé, il y avait des gardiens armés, plusieurs manoirs et des garages remplis de Lamborghini. Quelques jours plus tard, j'ai débarqué en Indonésie, au milieu de gens qui travaillent 20 heures par jour pour un salaire de crève-faim.»

Cela ne l'a pas désabusé. «Au contraire, lance-t-il. C'est la parfaite injection antidésenchantement. Les pauvres gardent leur fierté même s'ils vivent dans des conditions abjectes. Ils se nourrissent dans les poubelles sans se plaindre. Tout ce qu'ils me demandaient, c'était de ne pas être condescendant avec eux. L'Homo sapiens est un animal fascinant.»

Un os de travers

Mais c'est aussi un animal qui le décourage. Aux États-Unis, certains commentateurs et militants chassent le bon sens avec une fourche, remarque-t-il. Il prévoit en parler abondamment lundi soir.

«Depuis l'investiture d'Obama, la haine ressort. J'ai vu un gars qui brandissait une pancarte avec le visage du président, un os à travers le nez. Tu regardes et tu te dis: je vois vraiment ça? En 2010? Le reste du monde regarde en se demandant: que se passe-t-il chez vous?»

Au téléphone, Rollins raconte l'anecdote avec son énergie féroce. Ses mots sont des directs qu'il assène d'un ton glacial et sardonique.

Son aversion pour la sentimentalité est notoire. Le culturiste amateur ne craint pas seulement de ramollir physiquement. Si le coeur s'attendrit, la tête s'amollit aussi, semble-t-il penser.

Malgré tout, le communiqué qui annonce sa nouvelle tournée nous apprend que Rollins a finalement trouvé une copine. Et qu'il craint de «devenir mou». «C'est un bel être humain, elle est incroyablement gentille avec moi, explique-t-il. Notre relation est tellement normale qu'elle est étrange. Je suis parfois incapable de ne pas rire de moi en me disant: regarde ce que tu fais.»

Henry Rollins au National, le 22 mars à 20h.