Certes parmi les meilleurs pianistes de jazz français, Jean-Michel Pilc devrait jouer plus souvent à Montréal puisqu'il vit avec femme et enfants dans les Catskill Mountains, superbe ramure des Appalaches située à environ deux heures de route au nord-ouest de New York.

Mais voilà, tout est question d'offre et de demande... À 50 ans, cet excellent pianiste n'est encore connu que d'une minorité de jazzophiles québécois. Même après un concert remarquable en duo avec Élizabeth Kontomanou (en juillet 2006) et quelques escales précédentes réservées aux plus pointus des mélomanes, le virtuose évolue en classe économique.

Jean-Michel Pilc a beau enregistrer chez Dreyfus, le plus important label (indépendant) de jazz en France, il n'est pas chez Blue Note, Nonesuch ou Verve... Alors? Notre interviewé n'a que faire de ces considérations. De loin, il préfère son indépendance d'esprit et assume entièrement son personnage de jazzman farouchement indépendant. De musicien français who made it in ze Big Apple. Ce qui n'est pas rien.

Ce soir à l'Astral dans le cadre du festival Jazz en rafale, il partage la scène avec notre François Bourassa. Ce dernier lui a rendu visite il y a quelques jours afin de préparer la soirée montréalaise.

«Ça s'est très bien passé», amorce Pilc, joint dans ses montagnes de l'État de New York. Le pianiste s'est établi aux États-Unis en 1994. Depuis, il y mène une carrière enviable de jazzman.

«J'ai déjà croisé François Bourassa, reprend Pilc. Nous avons sympathisé et j'ai découvert sa musique. Il est adorable, de surcroît un excellent musicien. Son ensemble est de très haut niveau, quoi! Ses compositions sont superbes, on en a privilégié quelques-unes pour le concert. On jouera trois de ses pièces, trois des miennes, il y aura peut-être des surprises à côté mais ce sera essentiellement des morceaux originaux au programme. Je ne sais même pas si on va jouer des standards... peut-être un blues de Thelonious Monk.»

Deux pianos, donc. En 2010, de tels duos ne sont pas légion. On est déjà loin, très loin des rencontres veloutées entre Tommy Flanagan et Hank Jones! Jean-Michel Pilc en convient.

«Ce n'est pas facile, dit-il, ni au plan logistique ni au plan économique. Par les temps qui courent, il faut dire, les gens ont même peur des concerts de piano solo. On sent une espèce de frilosité économique, je ne sais pas si c'est la crise... Vous dites que c'est mieux en Europe? Hmmm... Je ne suis pas impressionné par ce qu'on y soutient! Là-bas, il y a plus d'intellectualisme... pas forcément plus de qualité.»

«Au fond, poursuit-il, l'être humain est un peu le même partout... De manière générale, c'est difficile de suggérer l'originalité. Et c'est très facile de faire peur! Si j'en souffre professionnellement? Oui, parce que je suis un musicien qui propose quelque chose de personnel. Ça rend forcément les choses un peu plus difficiles. Le plus important, au fond, c'est d'être satisfait de ce qu'on fait. Il m'est arrivé d'avoir fait face à un public ravi alors que moi je n'étais pas du tout content de ma performance. C'est pour moi bien pire que l'inverse!»

Jean-Michel Pilc est leader. Assez récemment, le label Dreyfus a lancé son album True Story avec le batteur Billy Hart et le contrebassiste Boris Kozlof. Aux côtés du contrebassiste François Moutin, un compagnon d'armes qui a aussi fait le saut en Amérique du Nord, il projette de monter un ensemble avec entre autres le batteur Ari Hoenig. Un septuor est aussi en chantier. Un enregistrement solo sera bientôt rendu public.

En tant qu'accompagnateur, Pilc prépare une tournée à la fin de l'année avec le trompettiste Lew Soloff, le batteur Billy Hart et François Moutin. Enfin, notre homme est en train d'écrire un livre «qui était au départ pédagogique et qui, finalement, prendra la forme d'un livre plus général sur la musique et l'improvisation».

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Dans le cadre de Jazz en rafale, Jean-Michel Pilc et François Bourassa se produisent ce soir, 19 h, à l'Astral. Le concert sera précédé par la performance du groupe Kite, inscrit au concours Jupiter Van Doren destiné à la relève.