Les horreurs de la guerre, elle ne les a pas vues, mais entendues. Presque aveugle depuis la naissance, la Congolaise Luundo Dunia a vécu près de 10 ans dans des camps de réfugiés, avant de débarquer à Sherbrooke avec sa famille. À 24 ans, elle vient de lancer un premier disque aux textes tranchants, pour « exposer ce qu'elle a vécu».

Q La Presse - Le titre de votre premier album (Le sang qui coule) est aussi brutal que plusieurs de vos textes. Vous racontez des choses très dures. La guerre, la mort, la faim. Vous chantez pour exorciser le passé ?

 

R Lunndo Dunia - Je chante d'abord pour communiquer ma joie d'être en vie. Et je chante pour exposer mes émotions. Ce que j'ai en dedans de moi. Dire ce que j'ai vécu.

Q Oui. Comme la vie dans les camps de réfugiés, dont vous parlez dans la chanson Nations unies. Racontez-nous comment ça s'est passé...

R J'y suis restée près de 10 ans. La guerre était dans mon village, un village à la frontière du Rwanda. Les gens mouraient. On les tuait ou ils mouraient de faim. On a fini par se sauver dans la forêt. Ça a duré trois semaines. C'était difficile parce que je suis aveugle à 85%. On a fini par aller au village de Kazimiya, où on a pris des canots pour traverser jusqu'en Tanzanie où il y avait ce camp. On a vécu là un an. C'était très difficile. Manque d'eau, manque de nourriture. Pas assez de toilettes. C'était chacun pour soi. Au moins 10 personnes mouraient par jour. Certains étaient tués par les animaux sauvages. Beaucoup d'agressivité dans l'air. Beaucoup de souffrance. On a fini par retourner au Congo, mais la guerre a recommencé. Alors on est retournés en Tanzanie pour plus longtemps. De là, on a pris la décision de venir ici.

Q Le fait d'être non voyante a-t-il changé votre expérience de la guerre?

R Oui. J'ai entendu plus que n'ai vu. Les souvenirs qui me restent sont surtout sonores. Je me souviens surtout des gens qui criaient. Les gens criaient beaucoup...

Q Comment avez-vous réussi à traverser ces épreuves?

R En ignorant les choses. En faisant comme si elles ne s'étaient pas passées. Ça aide. Si tu considères chaque chose qui arrive, tu vas mourir de tension. J'ai vite appris à oublier. Pour ne pas garder ça dans ma tête. Aujourd'hui j'en parle. Je le chante. Mais c'est quelque chose qu'on fait quand on en est sorti. Pas avant.

Q Vous avez choisi de chanter en français, alors que vous ne parliez même pas la langue quand vous êtes arrivée au Québec en 2005. Pourquoi ?

R Parce que j'avais besoin que les gens d'ici écoutent ce que je dis. Pour qu'ils puissent comprendre tout ce qu'on a vécu. Les réfugiés africains n'ont pas besoin de se le faire dire, ils étaient là...

Q En regardant la pochette de votre disque, je vois qu'il y a des fleurs de lys sur votre robe. Un message?

R (Rires!) Oui, C'est un pagne congolais que ma mère m'a acheté. qu'on a fait transformer en habit chez la couturière. J'ai fait rajouter les fleurs de lys pour que ma robe soit comme mes chansons et ma musique : un peu congolaise, un peu québécoise.

Lunndo Dunia en spectacle le 4 février, 21h, au club Balattou (4372, boul. Saint-Laurent) dans le cadre de la série Rythmes au féminin.