Le metteur en scène Daniel Roussel est formel: dans le titre du spectacle Starmania versus Notre-Dame de Paris, «versus» ne signifie pas «contre», mais littéralement «vers, en direction de». En d'autres termes, lundi et mardi, l'Orchestre Symphonique de Montréal, le chef d'orchestre Simon Leclerc et quelques-uns de nos meilleurs chanteurs lyriques vont lancer un pont musical entre Starmania, composée en 1978, et Notre-Dame de Paris, créée en 1998. Une passerelle orchestrale entre la Monopolis de l'avenir et le Paris du XVe siècle...

Oups, la ligne vient de couper, entre Miami et Montréal! Qu'est-il arrivé à Luc Plamondon, interviewé à propos du spectacle Starmania versus Notre-Dame de Paris? Le téléphone re-sonne: «Désolé, je vous parlais tout en essayant d'enlever mon t-shirt parce qu'il fait enfin chaud en Floride, et ça n'a pas marché!» Dans la voix de Plamondon, des rires. D'une part, parce qu'il travaille à un projet de comédie musicale axée sur ses grands succès, d'autre part parce que ses deux oeuvres phares, éminemment pop et rock, entrent encore un peu plus dans le répertoire classique.

 

«Au départ, explique Plamondon, l'OSM voulait faire une heure de Starmania et une heure de Notre-Dame de Paris, et la question a surgi: pourquoi ne pas mêler les deux? Je ne pense pas que l'Orchestre aurait osé le faire sans mon accord, mais j'étais le premier à trouver que c'était une bonne idée: marier l'opéra rock qu'est Starmania à l'opéra populaire qu'est Notre-Dame de Paris

Une bonne idée et un méchant défi: «La structure des musiques de Michel Berger est assez pétée, explique le très doué orchestrateur et chef d'orchestre Simon Leclerc, alors que les compositions de Cocciante sont de belles grandes mélodies avec une construction plus carrée - on sent chez lui l'influence de Puccini, de Verdi. Ce n'était pas évident de faire porter un même manteau opératique et symphonique à leurs morceaux, qui ont en plus figuré dans le Top 40!»

Ceux qui ont assisté à une des versions symphoniques de Starmania par le passé ou à la répétition de l'OSM il y a quelques semaines ne sont pas inquiets: le défi a été relevé. Et la journaliste qui signe ces lignes a été profondément émue en voyant les partitions en bonne et due forme des différents morceaux.

Autre défi de ce spectacle: éviter le ton «gala», c'est-à-dire une suite de grands airs, sans montée dramatique: «On ne voulait pas non plus faire un gala Plamondon, mais plutôt que ses textes en soient le pivot, explique le metteur en scène Daniel Roussel (qui signera l'an prochain la mise en scène de la comédie musicale Les filles de Caleb). C'est pour cela que j'ai beaucoup travaillé l'ordre des chansons avec Luc, qu'incidemment je connais depuis 40 ans.»

L'ordonnancement des morceaux permettra en effet de mesurer les parallèles entre les deux oeuvres: le clivage entre nantis et pauvres, le droit qui prend le pas sur la justice, la ville déshumanisée et déshumanisante... «Mais aussi certains mots clés, fait remarquer Plamondon. Stone et Danse, mon Esmeralda se terminent toutes deux par le mot «mourir». Il est fait mention de l'an 2000 tant dans Monopolis que dans Le temps des cathédrales. Il y a un lien entre le propos de Quand on arrive en ville et Les sans-papiers...»

«Pour rendre la force de tout cela, j'ai décidé de tabler sur le principe du less is more, ne pas en faire trop, explique Daniel Roussel. Il n'y aura pas de décor, mais les chanteurs seront assis sur des blocs de lumière. Pas de costume de scène, mais tout le monde sera habillé en noir, en smoking et chemise noirs, y compris les musiciens, pour qu'on ne voie que les mains et les visages. Un tulle séparera parfois l'orchestre des chanteurs... L'idée, c'est de construire le pont entre ces chansons et qu'il soit solide.»

Presque toujours en scène, les chanteurs auront des micros, afin de ne pas avoir à lutter contre l'orchestre. «Simon est le trait d'union entre tous les éléments du spectacle, précise Daniel Roussel. Ce sont ses orchestrations qui magnifient ces deux oeuvres archiconnues.»

Les spectateurs auront droit en outre à quelques «nouveautés»: pour la première fois, Travesti sera interprétée par un homme (le baryton Dominique Côté); on entendra un air peu connu de Starmania, Le tango de l'amour et de la mort (duo entre Stella et Sadia figurant uniquement dans les versions 1981 et 1986); enfin, on découvrira une version à deux voix du Temps des cathédrales. Je vous le jure: même ceux qui n'en peuvent plus de cette chanson vont l'apprécier... Il est venu, le temps de l'opéra.

Fais-moi l'opéra 

En 2004, à la demande de l'OSM sous la direction de Jacques Lacombe, Simon Leclerc compose des arrangements symphoniques et opératiques pour les grands airs de Starmania (paroles de Luc Plamondon, musique de Michel Berger), interprétés par Marc Hervieux, Marie-Josée Lord, Lyne Fortin, etc.

En 2008-2009, il orchestre avec bonheur toute la comédie musicale, puis dirige l'Orchestre Métropolitain et à peu près les mêmes chanteurs devant des salles combles. Pour ce qui est de Notre-Dame de Paris (paroles de Luc Plamondon, musique de Richard Cocciante), Leclerc fait des arrangements pop classique des grands airs de la comédie musicale en 2001, dans le cadre des Concerts pop de l'OSM. C'est toutefois la première fois que l'oeuvre de Plamondon et Cocciante jouit d'orchestrations purement symphoniques, sans rythmique ou instrumentation rock.

Starmania versus Notre-Dame de Paris, les 1er et 2 février, à la salle Wilfrid-Pelletier de la PDA, avec l'OSM sous la direction de Simon Leclerc, avec le ténor Marc Hervieux, les barytons Étienne Dupuis et Dominique Côté, et les sopranos Marie-Josée Lord, Lyne Fortin et Raphaëlle Paquette.