Comment faire monter le mercure de janvier? Authentique flamenco à l'agenda montréalais: monteront sur la scène du National deux chanteurs, trois guitaristes et trois danseurs dont la superbe soliste Soledad Barrio.

«Le flamenco est un pleur, un cri rebelle. Si on ne proteste pas contre quelque injustice, on ne fait pas de flamenco», tranche Martin Santangelo, directeur artistique et fondateur de la troupe Noche Flamenca, qui s'amène une fois de plus à Montréal, c'est-à-dire pour trois soirées consécutives à compter du 27 janvier.

 

«Le flamenco, insiste l'artiste madrilène au bout du fil, est né dans des conditions très difficiles pour la condition humaine. Le flamenco était un cri et nous devons encore crier aujourd'hui. Sinon ça deviendrait un simple travail, un simple gagne-pain.»

Inutile d'ajouter que Martin Santangelo et sa troupe défendent une culture forte et fière, patrimoine populaire devenu forme classique de l'expression culturelle planétaire. D'origine andalouse, le flamenco est né d'un brassage culturel: gitans, Maures, Arabes, mozarabes, juifs sépharades et autres communautés installées en Andalousie avant la Reconquista ont contribué à son édification.

Pour le directeur artistique de Noche Flamenca, cette expression est indivisible. «Le moteur du flamenco est le chant, ce pourquoi on danse et on joue la guitare. Le problème qu'on observe trop souvent aujourd'hui, c'est que la danse en devient le protagoniste. D'ailleurs, je ne commence pas par la danse lorsque je crée un numéro: je passe d'abord une semaine ou deux avec les guitaristes, se joignent ensuite les chanteurs et les danseurs.»

De la profondeur

Autre problème redouté par notre interviewé, l'excès de virtuosité: «Trop de spectacles de flamenco sont conçus pour épater la galerie. Or, pour moi, ça n'a que très peu à voir avec cet art. Ce n'est pas un cirque! C'est pourquoi je me bats toujours contre tout étalage de technique. Nous avons quelque chose de plus profond à communiquer.»

Le classicisme préconisé par Noche Flamenca n'est pas associé aux grands réformateurs du genre, on pense aux contributions de Paco de Lucia et les musiciens influencés par le fameux guitariste. Flamenco puro, donc?

«La pureté n'existe pas, rétorque Martin Santangelo. Le flamenco est né de plusieurs cultures différentes, n'est-ce pas? La seule pureté associée au flamenco se trouve dans sa capacité à exprimer de profondes tragédies ou comédies, soit la complexité de l'émotion humaine dans des circonstances difficiles. Nous pouvons bien jouer ou mal jouer, nous devons toujours rester sincères, en phase avec les motivations profondes de cette expression.»

Le traditionalisme apparent de Noche Flamenca, prévient son directeur, n'exclut en rien le changement: «Nos spectacles ne cessent de se transformer mais nous en avons conservé la saveur originelle. Cela dit, je peux laisser aux chanteurs le loisir d'improviser pendant une portion d'un numéro. Cela exige alors une adaptation en temps réel de la danse et du jeu des guitares. Cette souplesse demeure un fondement de notre facture.»

Parmi les nouveautés au programme de cette nouvelle escale montréalaise (la cinquième en onze ans), Martin Santangelo cite en exemple le numéro d'ouverture qu'il a imaginé: Alba.

«C'est un hommage aux combattants étrangers venus de différents pays, surtout des États-Unis et du Canada, afin de prêter main-forte aux forces antifascistes durant la guerre civile espagnole. Ce qu'ont accompli ces idéalistes de gauche était incroyable! Ils ont perdu la guerre, mais ils ont planté les graines d'un avenir plus juste.»

Esprit communautaire

Et qu'est-ce qui différencie Noche Flamenca des autres troupes espagnoles de même niveau?

«D'abord, répond Martin Santangelo, nous formons une communauté. Aucun membre de la troupe n'est plus important qu'un autre. Lorsque nous sortons de scène, nous restons au sein de cette communauté. Chacun y connaît la personnalité de chacun. Au fil du temps, la confiance mutuelle s'est installée. Dans cette optique, j'essaie de maintenir le personnel aussi stable que possible. Nous sommes basés à Madrid parce que Soledad et moi y habitons. Les chanteurs sont originaires de Cadiz, les guitaristes viennent de Barcelone et de Séville, les danseurs de Séville et Madrid.»

Autre carte maîtresse de Noche Flamenca: la danseuse Soledad Barrio, épouse du chorégraphe et directeur artistique.

«Elle est une artiste extraordinaire, lance son mari admiratif. Je l'ai vue danser des centaines de fois devant public, elle réussit encore à m'émouvoir aux larmes. Elle se nourrit des improvisations de ses collègues. Samedi dernier, elle était épuisée avant de présenter le dernier numéro. Tellement fatiguée que les chanteurs se sont alors présentés sur scène pour l'appuyer. Elle a alors pris une autre route, sa danse fut fantastique. Vous savez, de telles surprises se produisent presque chaque soir.»

Soledad Barrio et Noche Flamenca se produisent au National, 20h30, les 27, 28 et 29 janvier.