De l'utilisation du franglais au parlé-chanté en passant par la «cannibalisation» d'influences musicales éclectiques, les mille et une inventions de Serge Gainsbourg imprègnent de façon presque inconsciente la chanson française et son influence s'étend au delà de nos frontières.

«Il y a deux pôle opposés dans la chanson française qui se respectaient, s'admiraient mutuellement : Georges Brassens et Serge Gainsbourg. Toute la chanson française se situe quelques part entre les deux», estime le journaliste Gilles Verlant, auteur de la biographie Gainsbourg (Albin Michel).

Cet amoureux de Baudelaire et de Rimbaud a inventé une «nouvelle manière de découper les mots, de triturer la langue française tout en la respectant pour la rendre rythmique», par exemple en utilisant des rimes avec une syllabe au milieu d'un mot, comme les allitérations en «x» dans «Comment te dire adieu».

Dans un récente interview, sa fille Charlotte confiait d'ailleurs sa difficulté à chanter en français car «le moindre mot me donne l'impression que mon père l'a déjà utilisé».

«Dans ses inventions, il y a aussi l'utilisation systématique et "goûtue" du franglais et des expressions anglaises dans un contexte de chanson française», comme Comic Strip, Black Trombone ou la Remington portative de Elaeudanla Téitéia, souligne Gilles Verlant.

«Il y avait déjà eu une utilisation de l'anglais, notamment par Léo Ferré, mais Ferré s'en moquait comme d'une mode, tandis que Gainsbourg, lui, vivait à fond dans la modernité et avait parfaitement compris que l'anglais allait primer sur le français», dit-il à l'AFP.

Gainsbourg a aussi été un des premiers à utiliser la technique du «talk-over» ou «parlé-chanté», «qui a été imité et l'est encore énormément par des chanteurs qui, parfois, n'en sont pas», rappelle Pascal Bussy, label manager chez Harmonia Mundi, qui voit en Gainsbourg et Charles Trenet les deux piliers de la chanson française.

Autre caractéristique, le «cannibalisme» de Gainsbourg qui le conduit à ouvertement «emprunter» des morceaux de jazz, de musique classique ou africaine pour les intégrer dans ses morceaux, comme la Symphonie n°9 de Dvorak qui inspire Initials B.B..

Quelques années plus tard, la musique de Gainsbourg est elle-même abondamment samplée par des rappeurs (Bonnie and Clyde sur Nouveau Western de MC Solaar) des DJ, ou encore l'Américain Beck qui s'appropriera les arrangements de Melody Nelson pour son Paper Tiger.

«L'héritage de Gainsbourg, c'est aussi un esprit, le fait d'oser», estime Pascal Bussy, qui rappelle la «petite révolution» qu'a constitué Je t'aime, moi non plus à sa sortie.

D'ailleurs, «une chanson comme Lemon Incest ne passerait plus, le clip ne serait pas diffusé et elle ne serait pas numéro 10 au Top 50 comme elle l'a été à l'époque», souligne Gille Verlant.

«Aujourd'hui Gainsbourg imprègne la chanson française. Il est entré dans une sorte d'inconsicent collectif de beaucoup de créateurs», estime Pascal Bussy.

Gilles Verlant cite pêle-mêle son influence sur le travail de Benjamin Biolay, Miossec, Julien Doré, Katerine, Keren Ann, Carla Bruni...

A l'étranger aussi, où il a été découvert après sa mort par l'underground anglo-saxon, Gainsbourg est devenu une référence pour nombre de musiciens : R.E.M., Sonic Youth, Portishead, Franz Ferdinand...

Ultime hommage et façon d'approcher le mythe, les amoureux de Gainsbourg, d'Air à Beck en passant par le producteur de Radiohead, se bousculent aujourd'hui pour collaborer avec sa fille Charlotte.