Quand Joss Stone a envie de faire de la musique, elle ne veut rendre de comptes à personne. Surtout pas à ses patrons d'EMI, sa maison de disques.

Pour la chanteuse soul de 22 ans, découverte en 2003 avec Soul Sessions, alors qu'elle n'avait que 16 ans, la liberté de créer n'a pas de prix. La Britannique a néanmoins appris qu'elle ne pouvait pas enregistrer un album sans que des représentants de son étiquette aient un droit de regard sur son projet. Son quatrième effort, Colour Me Free, a donc atterri dans les bacs des disquaires plusieurs mois après sa création, le temps de permettre à l'artiste et à EMI de trouver un terrain d'entente.

«Malgré tout ce qui a été dit et écrit sur ma dispute avec EMI, c'est à cause de cette mésentente que mon album se retrouve aujourd'hui en magasin. On a fini par s'entendre et lancer le disque, c'est tout ce qui compte, souligne Joss Stone, à l'autre bout du fil. Cela dit, je vais toujours me battre contre tous les imbéciles, et dieu sait s'il y en a dans ce milieu, qui vont essayer de me dire quoi chanter ou comment le faire! Ma musique, c'est mon espace de liberté totale, et je vais continuer à la protéger contre quiconque tentera de me l'enlever ou de m'y emprisonner! La soul n'est pas un genre qui se met en boîte. C'est un état d'être, une sensation, une émotion qui passe par la voix. Personne ne viendra me dire ce que je suis supposée ressentir et faire passer par ma voix!»

Voilà, le ton est donné à notre entretien. La jeune femme, qui soutient s'être fait une carapace au fil des ans pour se prémunir contre certaines attaques, n'a décidément pas la langue dans sa poche. Le discours «politiquement correct», très peu pour elle, surtout pas en entrevue, alors que de nombreux «f***» émaillent ses phrases. D'ailleurs, la seule retouche apportée au CD, après sa bataille contractuelle, s'avère être les dernières paroles de Free Me, où elle réclame sa liberté d'expression en scandant «Free me, EMI». Car pour l'auteure, compositrice et interprète, une seule chose primait, dans toute cette histoire: préserver le côté brut, vrai, sans artifice de son disque.

Pas de distorsion

«C'est arrivé il y a deux ans. Je me suis réveillée un matin, il faisait très beau dehors et j'ai eu envie de faire de la musique avec mes potes, raconte Joss Stone. Colour Me Free a été enregistré en une semaine, dans un studio que nous avons improvisé dans le bar de ma mère. Il n'y avait pas de pression, juste le plaisir de se retrouver entre amis, de jammer et de créer, sans règles à suivre. C'est ce qu'on entend sur l'album: l'énergie, la spontanéité, l'esprit du moment capté.»

Ces éléments font toute la différence, à ses yeux, entre la pop aseptisée, manipulée par divers moyens techniques, et l'âme d'une voix, d'une démarche. Pas question pour Joss Stone de trafiquer sa voix par quelque effet de distorsion, d'écho ou autre.

«Ça me pue au nez! Quand j'ai commencé dans le métier, je n'ai pas eu un mot à dire sur bien des aspects. En studio, même si je voulais reprendre une chanson du début, on me faisait comprendre, après trois ou quatre prises, qu'on avait assez de matériel pour en traficoter les couplets et les refrains, en collant des petits bouts de mes interprétations. Ça me faisait carrément suer! À cause de ça, je devrais plutôt dire grâce à ça, j'ai appris à chanter en direct, sans filet, comme s'il n'y avait pas de lendemain», explique-t-elle.

De toute façon, rappelle-t-elle, il fut une époque où les chanteurs ne pouvaient pas se reprendre, puisque la technologie ne le permettait pas. «Si tu veux mon avis, on complique les choses pour rien, dans l'industrie, renchérit-elle. On n'a pas besoin d'un an pour enregistrer un album! Et puis, on se met à douter de tout, quand on a trop de temps pour penser... Pour ma part, je trouve très dangereuse l'espèce d'insouciance qu'on peut éprouver devant un micro sous le seul prétexte qu'on peut se tromper sans que ça porte à conséquence. Ce n'est pas comme ça que j'ai le goût de chanter.»

Les très rares fois où elle a réécouté Soul Sessions, elle a eu la «désagréable impression d'entendre un putain de chipmunk!» clame en rigolant celle à qui l'on doit aussi Mind, Body And Soul (2004) et Introducing Joss Stone (2007). «Tout ce que j'entends, moi, c'est une toute petite fille qui veut jouer dans la cour des grands. C'est d'ailleurs ce que j'étais, fait-elle valoir. Tout le monde s'extasiait sur ma voix, disant que je devais avoir l'âme d'une vieille femme noire! lance la Blanche de tout juste 22 ans. C'est ridicule, comme comparaison!»

Aussi ridicule, selon elle, que la rumeur voulant que Barack Obama lui ait demandé d'écrire une chanson - Governmentalist, qui apparaît sur Colour Me Free - pour sa campagne électorale. «C'est une chanson que j'ai écrite en pensant à toute la désillusion que nous éprouvons face aux institutions, aux gens au pouvoir, au besoin d'avoir des leaders inspirants. Barack Obama ne l'a pas utilisée, pas plus qu'il ne m'a appelée, même si j'aurais bien aimé lui parler! s'exclame Joss Stone. C'est un texte très politisé, c'est vrai. Mais, tu vois, il m'arrive d'avoir des opinions et d'avoir envie de les partager, c'est aussi simple que ça.»