Après Voix de fait, un premier disque bien reçu par la critique, le rappeur Manu Militari revient à la charge avec Crime d'honneur. Discussion sur le refus de l'engagement, un hôtel de cinglés au Caire et le mérite des histoires vraies.

Crime d'honneur dépeint plusieurs scènes de la petite misère quotidienne. C'est une danseuse qui bouge mollement dans la froideur d'une boîte à moitié vide. C'est la file anonyme qui s'allonge devant le guichet d'Insta Chèques à la fin du mois. Ou encore Ryan, mécano de l'armée américaine qui répare des hélicoptères à Bagdad, avec un salaire de 500$ par semaine comme mince compensation pour son calvaire quotidien.

Chuck D de Public Enemy a déjà qualifié le rap de «CNN des Noirs». Manu Militari semble proposer quelque chose de semblable. Des chroniques urbaines sur les laissés-pour-compte.

L'observation le fait grimacer un peu. «D'abord, si le rap est le CNN des Noirs, il les représente mal en maudit! lance-t-il. Et puis moi, je parle au monde, mais je ne parle pas en leur nom. La nuance est importante. Je n'ai jamais voulu changer les mentalités. Je ne revendique pas avec un porte-voix et des pancartes. Mon truc, c'est les sentiments, la poésie.»

Mais il n'y a aucune trace de sentimentalisme dans Crime d'honneur. Les textes restent crus, et sa prosodie est sobre et presque rêche, sans grande musicalité ou émotion. Comme si chaque phrase constituait un autre petit jab qu'il assène sèchement.

Près de trois ans se sont écoulés entre la sortie de Voix de fait et le début de l'écriture du nouveau disque. Le hip-hop étant ce qu'il est au Québec, Manu Militari n'a pas passé tous ces mois en tournée. Qu'a-t-il fait pour meubler le temps? Quelques secondes de silence précèdent sa réponse. «Pas mal de choses, laisse-t-il échapper. Je vois des amis, je me tiens occupé...»

C'est seulement en 2009 qu'il a recommencé à écrire sérieusement. Et en rafale. L'essentiel de Crime d'honneur a été fait dans les six derniers mois. «Je ne suis pas capable d'écrire à temps perdu sur le coin d'une table, 30 minutes par jour, explique-t-il. Quand je m'y mets, c'est à temps plein. J'ai donc loué un chalet pour commencer les textes. Ça m'a débloqué.»

Avant de commencer un texte, il se posait toujours la même question: quoi ne pas dire. Quelles formules creuses et quels sujets éculés éviter. «Le cliché, c'est ma hantise», avoue-t-il.

Tout est vrai, presque

«Ça fait deux ans que je n'ai pas ouvert la télé chez nous. Je préfère rencontrer le monde. J'adore entendre leurs histoires. C'est sur eux que j'écris. Absolument tous les textes parlent de faits vécus.»

Une des histoires les plus intéressantes est celle de Ryan, vieil ami devenu mécano de l'armée américaine. «C'est drôle, il m'a envoyé un courriel hier soir, raconte-t-il. Il disait: je viens d'arriver en Afghanistan, ma chambre est petite comme une cellule de prison, ici, je n'entends que le bruit des avions...»

Manu Militari continue ensuite de nous raconter l'histoire. Son parti pris pour les faits vécus, on le devine aussi par ses lectures. Il préfère les biographies. Et son dernier roman lu est Les bienveillantes - de la fiction qui s'appuie sur des recherches historiques maniaques.

Encore une fois, Manu parsème son disque d'échantillonnages de musique arabe. Il a appris à parler la langue il y a quelques années, et il a voyagé à quelques reprises en Égypte et ailleurs dans la région. «Au Caire, j'ai été dans un hôtel de cinglés, le Sultan Hotel. C'est une maison des fous. Il y avait des globe-trotters perdus, une pute, un imam aveugle qui habitait sur le toit et un nazi homosexuel qui se disait le petit-fils de Himmler. Des cinglés, je te dis. J'aimerais écrire un roman avec leurs histoires. Mais je ne saurais pas trop comment m'y prendre.»

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EN UN MOT

Rappeur originaire de Côte-des-Neiges qui lance son deuxième disque, du hip-hop aux textes crus qui parlent des marginaux, avec des échantillonnages arabisants.

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