Jusqu'ici, l'ordre règne: ma fille aînée ne sait pas lire les titres de ses chansons préférées, sa petite soeur apprend encore à parler et ma blonde est très occupée avec toutes ses dissertations à corriger. Je suis donc seul à pianoter sur le iPod familial.

Je dois cependant me rendre à l'évidence: je fais un bien piètre dictateur. Comme tout détenteur d'un pouvoir totalitaire, j'exerce bien sûr une forme éclairée de censure. Je mets même des disques à l'Index. Sauf que, le plus souvent, ce sont les miens...

J'ai beau apprendre à gérer la petite enfance sur le tas, il me semble que Ministry et Skinny Puppy, ce n'est pas pour les enfants en âge d'aller à la garderie. Il me semble aussi logique - et peut-être même sain - de me priver et donc de préserver mes filles de trucs rentre-dedans comme Arctic Monkeys ou la portion la plus extrême du coffret The Heavy Metal Box quand elles jouent dans les parages. Et les solos tortueux de Coltrane? À l'Index, ça aussi!

Mon aînée étant du genre sensible (tout ce qui est rock fait «du bruit», selon elle), je saute même les deux premières chansons quand j'écoute In Rainbows de Radiohead. Et je profite de ses absences pour écouter The Strokes ou Franz Ferdinand avec sa petite soeur, qui est moins délicate: elle danse avec le même enthousiasme sur du rock ou du techno.

La musique, c'est bien sûr fait pour être partagé. C'est ce que j'ai retenu de ces longues balades en voiture avec mes parents pendant lesquelles on chantait en choeur La laine des moutons. Je ne me prive d'ailleurs pas de leur faire écouter un peu de tout: du vieux Stone Roses, de la musique turque, du Beethoven ou le dernier Damien Robitaille.

Mais du punk qui arrache? Du jazz fucké? Du rock suicidaire? On verra plus tard. Il y a un temps pour chaque chose. Malajube ne fait pas de la musique pour les fillettes (pas pour les miennes, en tout cas) et la place d'un enfant de 4 ans n'est pas au Centre Bell au spectacle du groupe favori de papa ou maman.

Je me rappelle avoir été sidéré de voir un couple trimballer son enfant d'environ 5 ans au parterre, près de la passerelle, lors de la dernière tournée de U2. La fillette était dans les bras de son père. Sa mère tenait une affiche sur laquelle était écrit «Hug me, I'm your biggest fan», qu'elle levait chaque fois que Bono passait tout près d'eux.

Il n'a jamais pris l'enfant dans ses bras, lui préférant une spectatrice majeure et vaccinée. La fillette a donc passé l'essentiel du concert la tête posée sur l'épaule de son papa à encaisser des tonnes de décibels. Même de loin, on devinait que ce n'est pas elle qui a le plus pris son pied ce soir-là.

Mes filles et moi partageons déjà certains goûts. Elles aiment beaucoup la chanson de la madame-qui-joue-avec-du-feu (ce serait long à expliquer, mais il s'agit d'Earth Intruders de Björk), «toungki» (Fuck You de Lily Allen) et le dernier Ariane Moffatt.

Et Miles Davis? Et Arvo Pärt? Ça viendra. Peut-être. Qu'elles se trémoussent sur El Gallo Enamorado des Petites Tounes ou chantonnent La grève des poules pendant qu'elles sont petites. Ça ne m'en prend pas plus pour me rendre fier comme un coq.