Carlos Placeres, Cubain immigré au Québec il y a bientôt 14 ans et troubadour autoproclamé, présente ce soir son deuxième disque à l'eXcentris. Rencontre avec un éternel élève de la musique cubaine.

Carlos Placeres n'est vraiment pas narcissique. Dès qu'on commence à parler de lui, le musicien et ethnomusicologue fait lentement dériver la conversation vers la musique elle-même.

Son parcours est pourtant fascinant. Élevé dans une pauvre banlieue rurale de La Havane dans les années 60, il côtoie la véritable misère en faisant son service militaire en Angola. À son retour, il enseigne l'électronique avant de tout balancer pour déménager dans le quartier Buena Vista et devenir musicien professionnel. Puis en 1996, l'oppression du régime castriste le pousse à immigrer au Québec.

Mais tout cela, on l'a déjà raconté. Et il préfère parler de la musique. Avec un sourire qui cache une fausse timidité, Placeres explique que Puro Café, son deuxième disque, constitue aus si le deuxième volet d'une trilogie.

«Mon premier disque, A Nos Ancestros, a été fait par l'ethnomusicologue en moi. Je voulais présenter les racines de la musique cubaine, ses débuts, avec les influences arabes, andalouses, maures et africaines. Si la musique cubaine goûte si bon, c'est à cause du mélange de toutes ces bonnes épices «, explique-t-il.

En magasin depuis le début du mois, Puro Café est plus dansant et festif. C'est parce qu'il s'intéresse à une autre période, la fin des années 40. «C'était peut-être un âge d'or, avance-t-il. L'arrivée du jazz dans l'île a créé une véritable explosion. La musique cubaine avait toujours un nombre très limité d'accords. Le jazz a enrichi ses harmoniques. Et aussi, on a vraiment commencé à utiliser la batterie et les cuivres», explique-t-il en sirotant sa tisane.

Il travail le déjà sur le troisième disque, qui portera sur une période plus contemporaine.

Un troubadour

Ce soir, à l'eXcentris , Placeres sera sur scène avec son groupe de neuf musiciens, composé autant de Québécois d'origine francophone que latine. «Pour les cuivres et la batterie, je voulais vraiment des Québécois formés avec la tradition d'ici, explique-t-il. Ça donne une autre couleur, peut-être plus jazz. Et j'ai des hispanophones pour les percussions et le piano.»

Leurs rythmes cha-cha-cha, conga, reggaeton ou timba seront dansés par Ritmo Picante, une jeune troupe. «Ce ne sera pas de la danse cabaret avec paillettes, je ne veux pas quelque chose de cliché», indique-t-il.

Depuis ses débuts au Québec, le travail de Placeres a été salué par la critique. En 2002, notre collègue Alain Brunet avait même qualifié A Nos Ancestros de «meilleur enregistrement de chanson cubaine jamais conçu (à Montréal)».

On devine que Placeres a un pincement au coeur en écoutant des tubes pop repris à la sauce cubaine. «On dirait que les gens trouvent ça cute d'entendre une chanson en espagnol. Mais c'est un genre qui ne s'apprivoise pas seulement en apprenant la langue. Il faut aussi apprendre le langage musical, ça prend du temps», lance-t-il d'un ton plus désolé que choqué.

Il se réclame de l'héritage des troubadours. «De la troisième génération, précise-t-il. Les premiers trovadors se promenaient de ville en ville avec leurs chansons, comme le raconte Compay Segundo dans Chan Chan. Ensuite, il y a eu la nueva trova, à partir des années 60. C'était critique et poétique, mais ça prenait parfois un dictionnaire pour comprendre. Après un certain temps, certains de ses représentants, comme Silvio Rodriguez, sont passés du côté du pouvoir. Des gens de mon âge se sont sentis trahis. Ils forment la base de la novissima trova, un courant critique et philosophique, mais qui utilise un style plus direct. Moi, je poursuis cet héritage-là.»

Carlos Placeres, ce soir à 20h à l'eXcentris.