Après avoir passé son tour pendant pratiquement 10 ans, Paul Piché revient à l'avant-scène du disque avec Sur ce côté de la Terre, oeuvre intimiste et sociale sur l'amour, l'engagement et l'environnement. Portrait d'un cinquantenaire comblé et reconnaissant.

J'ai sorti la photo de mon sac en me demandant quel effet elle aurait sur Paul Piché. C'est une photo signée Jacques Grenier et datée du 29 octobre 1980. Sur la photo, Paul Piché a 27 ans, une barbe touffue, des cheveux longs, épais et noirs et l'avenir devant lui. Cette année-là, pour combattre la morosité qui a suivi l'échec du premier référendum, Piché était rentré dans ses terres pour écrire L'Escalier, le disque qui a scellé à jamais sa crédibilité d'artiste et d'auteur-compositeur-interprète. La sortie de ce deuxième disque, salué par la critique de l'époque et considéré aujourd'hui comme un classique, fut d'ailleurs le prétexte de notre rencontre en 1980 dans un resto aux murs en stuc et aux abat-jour tissés en macramé.

Vingt-neuf ans plus tard, sur la banquette en cuir d'un resto où le stuc et le macramé ont été remplacés par l'acier inoxydable, les lignes épurées et une vue imprenable sur la place des Festivals, Paul Piché fixe la photo de ses 27 ans, l'âge qu'a aujourd'hui son fils Léo, avec un air où se mêlent surprise, affection et nostalgie. À 56 ans avec la barbe en moins, quelques livres en trop et une tête un peu plus dégarnie qu'avant, Paul Piché n'a pas l'air d'un homme malheureux ni d'un artiste frustré qui rumine tout seul dans son coin en pleurant ses exploits passés. Il semble aussi engagé qu'avant dans le présent. La différence, c'est qu'il est moins pressé qu'il l'a déjà été. C'est peut-être ce qui explique pourquoi 10 années se sont écoulées entre l'avant-dernier CD et celui-ci.

«J'avais décidé de laisser les chansons venir naturellement, de ne pas brusquer les choses, de ne rien décider d'avance, de ne pas travailler sur commande, de prendre mon temps, quoi, quitte à passer mon tour», explique-t-il.

Déjà vu

Même s'il n'est pas marié et ne l'a jamais été, Paul Piché vit depuis une décennie avec une Bolivienne qui lui a fait une petite fille, Léa, aujourd'hui âgée de 2 ans et demi. Le couple partage son quotidien avec Léa et les deux autres enfants d'une précédente union de la blonde Bolivienne.

Il y a 27 ans, Piché vivait dans exactement le même type de famille recomposée avec sa blonde québécoise, ses deux enfants et Léo, le fils qu'ils ont eu ensemble. Déjà vu?

En entendant ce mot qui est aussi le titre d'un livre qu'il a publié en 2007 et qui venait même avec la formule algébrique de notre inconscient collectif - [2 (x-80) "45] - Paul Piché demeure prudent. Et pour cause! Ce livre qu'il a écrit pendant une période creuse de sa vie d'auteur-compositeur et qui se voulait une réflexion sur le phénomène des cycles en mode, comme en musique et en politique, lui a valu les sarcasmes insistants de Dany Turcotte sur le plateau de Tout le monde en parle et une critique dévastatrice dans Le Devoir: «Déjà vu additionne les approximations au service d'une théorie qui ne veut strictement rien dire, qui ne repose sur aucune valeur scientifique et qui n'apporte absolument rien à une meilleure compréhension du monde. C'est consternant», écrivait le journaliste Paul Cauchon.

Si l'accueil des médias l'a blessé, Paul Piché n'en laisse rien paraître, plaidant que Déjà vu a très bien vendu et que, tout récemment encore, le politicologue et souverainiste Jean-François Lisée lui a lancé que son livre était génial.

Au bout du fil, Lisée nuance ses propos en disant qu'aussi génial soit-il, ce livre ne remportera pas un prix Nobel. «Reste que Paul pose les bonnes questions. La convergence d'éléments dont il nous fait part marche. Ceux qui se donneront la peine de lire ce livre jusqu'au bout constateront que sa démarche a du sens.»

Même si les sceptiques n'ont pas lu le livre jusqu'au bout et que certains ne l'ont pas lu du tout, Paul Piché n'est pas homme à se laisser abattre. Ni par les moqueries. Ni par le temps qui passe. Ni par la génération montante qui la pousse dans le dos. Ni par la souveraineté jamais acquise et pour laquelle il continue de militer au Conseil de la souveraineté où il siège aux côtés de Gérald Larose, de Luck Mervil et de Pierre Curzi.

Ni vieux ni dépassé

Non, Paul Piché ne se laisse pas abattre. Et cela ne date pas d'hier, mais probablement de 1977, année où il est apparu sur la scène québécoise, jeune diplômé en anthropologie converti en chansonnier à chemise à carreaux, grattant sa guitare au sang et heureux d'un printemps sonnant le renouveau. Depuis ce premier jour jusqu'à aujourd'hui, Paul Piché a pratiqué son métier sans réserve et sans répit.

Alors que certains de ses camarades abandonnaient la route, s'éclipsaient pendant de longues années ou accrochaient leurs guitares pour ouvrir des studios ou fonder des entreprises, Piché, lui, continuait à tracer son sillon et à sillonner le Québec d'est en ouest, du nord au sud. Au tournant du nouveau millénaire après la sortie, le neuvième jour du neuvième mois de 1999, d'un neuvième CD, Piché est reparti en tournée au Québec. Cela faisait plus de 20 ans qu'il était dans le métier. Son public avait vieilli et aurait dû normalement décliner. Tout le contraire. La tournée de 2000 s'est déployée dans 50 salles et a attiré pas moins de 75 000 spectateurs.

«Moi, tant que je peux continuer à vivre de mon métier, je suis heureux et reconnaissant. Je suis chanceux, la demande pour Paul Piché est encore forte. À ce niveau-là, je ne me sens pas vieux ni dépassé. Et quand je vois l'effervescence musicale et créatrice de la nouvelle génération, je suis fier. J'ai le sentiment d'avoir ma part de responsabilité dans tout cela, d'avoir influencé ceux d'aujourd'hui comme Félix et Vigneault m'ont influencé, moi.»

Le militant

Piché est tout aussi fier de constater l'état actuel de la chanson engagée.

«Je me souviens d'une époque où j'étais pas mal tout seul de ma gang à crier dans le désert mais aujourd'hui, la chanson engagée se porte bien, merci.»

Devant cette relève musclée, Piché s'est en quelque sorte senti libéré de l'obligation de continuer à écrire des chansons engagées. Le personnel a pris le pas sur le politique, à quelques exceptions près.

Dans Jean Riant, par exemple, le militant refait surface et s'en prend aux ti-Jean, Chrétien comme Charest, qui à ses yeux ont mené le Québec en bateau.

«Ce qui me frappe, c'est d'entendre les commentateurs qualifier certains politiciens d'habiles alors qu'en réalité, leur seule habileté, c'est de bien savoir mentir. Je regarde comment ça se passe et je me dis que c'est incroyable qu'on ne proteste pas plus que ça. On gobe et on avale sans rien dire.»

Dans la chanson Les ruisseaux, dont il a composé la musique avec son fils Léo, Piché se mue en écolo mondialiste. C'est de cette chanson qu'est tiré le titre du CD. Selon lui, cette chanson résume le lien qu'il cherche à faire depuis toujours entre le privé et le politique, entre l'individuel et le collectif, entre soi et l'autre.

Dans Je pense à toi, l'engagement amoureux d'un homme qui n'arrive pas tout à fait à accepter l'amour qui s'impose à lui sert de métaphore à l'engagement politique de celui qui n'arrive pas à dire oui au pays. Dans L'enfant prodige, l'engagement est évoqué à travers un prodige qui s'excuse de ne pas pouvoir réaliser les rêves des autres à leur place.

Même si la chanson a été écrite pour Marie-Élaine Thibert, on sent que Piché parle un peu de lui-même ou peut-être de son père, Alphonse Piché, pas le poète de Trois-Rivières, l'acteur, celui qui jouait le garde dans Gina de Denys Arcand, un fédéraliste convaincu qui a fini par abandonner l'art dramatique pour la peinture en bâtiment et qui a eu quatre enfants avec Agnes Pain, une Anglaise de descendance irlandaise. Penser que Paul Piché est le fils de cet homme-là fait sourire et rappelle à quel point la vie peut être ironique. En même temps, qu'il l'ait voulu au non, le fédéraliste a mis au monde un souverainiste qui, encore aujourd'hui, jure qu'il ne baissera pas les bras tant qu'il n'aura pas réussi à convaincre les convaincus de redevenir convaincants. Tant pis si ça prend des siècles, Paul Piché a tout son temps.

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CHANSON

PAUL PICHÉ

SUR CE CÔTÉ DE LA TERRE

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