D'un côté, une grande gueule à l'humour sarcastique ; de l'autre, le plus discret des deux, qui répond sérieusement aux questions. Conversation simultanée avec Donald Fagen et Walter Becker, les deux musiciens fantômes du Steely Dan des années 70 qui ont découvert sur le tard les plaisirs de la scène et ne peuvent plus s'en passer.

L'an dernier, au Festival de jazz, le public montréalais a pu voir pour la première fois cette drôle de bibitte qu'est Steely Dan. Un groupe à formation variable qui a produit de fabuleux albums à la frontière du rock et du jazz dans les années 70, mais qui n'a finalement consenti à faire de la scène qu'une vingtaine d'années après son heure de gloire.

On peut s'étonner qu'après avoir boudé Montréal si longtemps, Donald Fagen, Walter Becker et leurs musiciens nous reviennent si rapidement. Il faut dire que depuis quelques années, ils passent leur vie dans leurs valises, comme s'ils voulaient rattraper le temps perdu. À la différence que cette fois, ils ont dans leurs bagages un concept susceptible de rallier leurs fans de la belle époque.

Comme Van Morrison qui joue Astral Weeks 40 ans après sa création, comme Bruce Springsteen qui a offert à ses fans la version intégrale de cinq de ses albums dans la tournée qui s'est achevée dimanche dernier, Steely Dan proposera dans l'ordre les pièces de son album phare, Aja, ce soir à la salle Wilfrid-Pelletier.

«Springsteen suit ce qu'on fait de très près», dit Fagen, le chanteur-claviériste dont l'humour pince-sans-rire convient parfaitement à un groupe dont le nom a été emprunté à un godemiché dans un roman de William Burroughs. «Même à son mieux, Springsteen ressent le besoin d'observer ce que font les autres pour savoir quoi faire lui-même, ajoute Fagen. Et nous, on essaie de l'aider: on lui a même prêté une de nos meilleures musiciennes (Cindy Mizelle) pour sa tournée, juste pour lui donner un coup de pouce.»

«Nous avons planifié ces concerts voilà presque un an, au moment où tout le monde s'inquiétait de la désaffection du public, reprend le guitariste Becker pendant que son copain s'absente quelques minutes. Nous nous sommes dit que c'était peut-être l'occasion de réorganiser nos spectacles pour que les spectateurs vivent une expérience différente qu'ils peuvent anticiper. Jusqu'ici, leur réaction est incroyable! Ça a beaucoup rapproché la communauté de fans et les musiciens. Je dirais que c'est notre meilleure tournée.»

La musique avant les chansons

Steely Dan devait jouer The Royal Scam, un autre album des années 70, demain soir, mais ce concert a été annulé. Dans d'autres villes où ils comptent sur un public fidèle, Fagen et Becker proposent même une troisième soirée de chansons choisies au préalable sur le web par les acheteurs de billets. La formule aurait certainement plu au public montréalais l'an dernier: certains spectateurs se sont plaints que pour un premier contact avec Steely Dan, les concerts au Festival de jazz ne comprenaient pas suffisamment de classiques du groupe.

Reste que, de façon générale, on va voir Steely Dan moins pour ses chansons que pour sa musique qui, elle, est de haut niveau. L'an dernier, Godwhacker, qui n'est pas une de leurs chansons les plus populaires, a été l'une des plus applaudies à cause de la performance des musiciens.

«Bien sûr, le concert s'articule autour des chansons, mais le jeu d'ensemble du groupe, pas seulement les moments où les musiciens s 'éclatent, est tel lement solide qu'il devient le coeur du concert, convient Becker. Et c'est très bien ainsi. Nos chansons peuvent être à la hauteur de ce genre de relecture, je pense. «

Malgré les apparences, Fagen et Becker ne regrettent aucunement d'avoir boudé la scène pendant tant d'années. Becker estime que, même si les conditions de tournée avaient été les mêmes que celles d'aujourd'hui, ils auraient pris la même décision : «C'était exactement la chose à faire dans les années 70 parce que nous voulions nous concentrer sur l'écriture de chansons et la production d'albums. Le temps passé en tournée nous aurait éloignés de cet objectif et nous n'aurions pas progressé. Mais à partir des années 90, la façon de travailler en tournée convenait beaucoup mieux aux musiciens. Pour nous, aujourd'hui , l'exubérance des concerts est fantastique lorsqu'on la compare au mode artisanal que nous adoptons quand nous faisons des disques.»

Steely Dan, ce soir, 20h, à la salle Wilfrid-Pelletier.

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EN UN MOT

Un groupe original dont les albums des années 70 tiennent encore la route, mais qui a fait patienter son public pendant des décennies avant de lui offrir sa musique en concert.