S'il fallait compter sur les doigts d'une seule main les grands noms de la chanson moderne d'Amérique, celui de la famille Guthrie en ferait certes partie. Alors? Qui dit Guthrie dit Woody? Arlo? Bien évidemment. Mais il faut désormais compter également sur Abe, Sarah Lee, Cathy, Annie... et leur progéniture!

«Je ne suis pas venu à Montréal depuis au moins 10 ans. Il était temps, car j'y suis venu régulièrement. Je me souviens, d'ailleurs, de très beaux moments vécus chez vous avec Pete Seeger. Ça me manque!» s'exclame Arlo Guthrie au bout du fil.

 

La musique des réparties ne ment pas: l'homme est jovial, loquace et généreux. Il n'hésite pas à fournir toute la matière nécessaire au scribe afin qu'il puisse capter l'intérêt des lecteurs.

«C'est la première fois que je tourne avec la famille entière», souligne-t-il, prévenant que ce nouveau spectacle n'est pas seulement le sien, mais aussi celui des quatre générations de Guthrie, incluant le paternel dont Arlo semble assumer parfaitement le legs. Tout comme pour ses héritiers.

«J'ai fait de petites tournées avec mon fils Abe il y a trois ou quatre ans (et il m'a accompagné pendant plus de vingt ans) et aussi avec mon petit-fils Krishna. Mais c'est la première fois que je tourne avec mes quatre enfants et mes sept petits-enfants», indique grand-père Arlo, qui n'entend pas voler la vedette à qui que ce soit.

«Cette tournée met en lumière les créations de toute la famille Guthrie, et cela inclut quelques chansons de mon père. Nous avons choisi un angle intéressant à ce titre: après son décès en 1967, plusieurs de ses textes ont été mis en musique par différents compositeurs, et nous allons interpréter une part de ce matériel. Nous allons également interpréter des chansons de mes enfants et quelques-unes pour lesquelles je suis connu - Coming into Los Angeles, City of New Orleans...»

On lui rappelle que cette dernière est aussi un tube francophone de Joe Dassin - Salut les amoureux. Croyez-le ou non, Arlo Guthrie n'en connaissait pas l'existence!

«Je savais qu'Alice's Restaurant Massacree avait été traduite... Mais je ne savais rien sur ce Joe Dassin et cette version de City of New Orleans, assure-t-il. Vous savez, lorsque mon père était hospitalisé pour la maladie (de Huntington) qui l'a emporté, on le ramenait à la maison une journée par semaine, et ma tâche était de lui faire découvrir ses chansons traduites en langue étrangère. Il adorait.»

On aura saisi qu'Arlo Guthrie, très attaché aux siens, est un homme comblé par cette réunion familiale qui sillonnera le continent jusqu'au printemps.

«Vous savez, mes enfants ont leur propre carrière, ils exercent ce métier. N'allez pas penser que je les traîne de force sur scène! Nous avons tous pensé qu'il serait très agréable d'organiser ensemble un spectacle. La beauté de la chose, c'est que personne n'a les mêmes points de vue. Même si, politiquement, nos valeurs sont similaires.»

Libre penseur

L'aïeul Woody fut longtemps associé à la gauche américaine. Et vous, fiston Arlo? « Si je suis de gauche? Ça dépend... Si vous êtes gauchiste de tradition, il y a fort à parier que vous jugiez que je ne suis pas de gauche. Si vous êtes à droite, vous trouverez que le suis! En fait, j'ai toujours été favorable aux syndicats, je partage plusieurs valeurs politiques de mon père. Nous traversons d'ailleurs une période débile où la richesse est concentrée dans les mains d'une petite minorité. Les gens ordinaires, dont je suis, doivent se tenir.»

Le progressisme, selon le résidant du Massachusetts, ne peut exister ailleurs que dans son pays.

«Je m'intéresse aux valeurs fondatrices des États-Unis. Rien à voir avec l'argent. One man, one vote kind of stuff. Le droit pour chacun de prendre sa destinée en main. Oui, j'ai déjà soutenu le républicain Ron Paul parce qu'il est un brillant expert financier et qu'il s'oppose aux abus de Wall Street en analysant les conséquences. Par contre, je ne le soutiens pas sur plusieurs enjeux sociaux. En tout cas, il fut un des rares républicains à s'opposer à la guerre d'Irak. En fait, je crois qu'il faut éviter tout enfermement idéologique. Je pense que c'est ainsi beaucoup plus sain.»

Arlo Guthrie admet avoir déjà été membre du parti républicain, un petit détour qu'il se remémore en riant. «Je me suis déjà joint à ce parti car je croyais pouvoir aider à son changement. Franchement, ça n'a pas aidé du tout! Je ne suis maintenant d'aucun parti, je reste libre penseur. Vous savez, mon père fuyait les idéologies de la gauche rigide. Mes enfants sont aussi des libres penseurs: ils partagent les valeurs de leurs parents, mais nous avons tout fait pour qu'ils se forgent une pensée autonome.

«Voilà pourquoi nous évitons tous de nous coller à l'industrie de la musique. Trop souvent, on finit par y vendre son âme parce qu'on a voulu y devenir quelqu'un. Chez les Guthrie, on aime les chansons qui font partie de la vie des gens. Des chansons qui décrivent tous les recoins de l'existence, de la naissance à la mort. Des chansons qui débordent largement le cadre du divertissement.»

Malgré toutes les précautions qu'il dit avoir prises pour lui comme pour ses enfants et ses petits-enfants, Arlo sait que la tradition Guthrie peut être lourde à porter.

«Heureusement, nous nous en sortons bien jusqu'à maintenant, d'autant plus que nous réalisons le rêve de mon père: tourner avec ses enfants. Vous savez, je n'ai jamais vu mon père chanter, je n'ai pu tourner avec lui. C'est son rêve qui devient ici réalité. Nous en garderons un souvenir impérissable.»

Arlo Guthrie et sa famille se produisent au Théâtre Outremont, le 29 octobre.

 

EN UN MOT

Fils du légendaire chanteur et compositeur folk Woody Guthrie, Arlo Guthrie est en tournée avec ses quatre enfants et ses sept petits-enfants.