Il y a des signes qui ne trompent pas. Lorsqu'une grande maison de disques parisienne, qui est en train de lancer une nouvelle artiste québécoise, devient légèrement désagréable au téléphone et vous balade pendant trois ou quatre jours au sujet d'une malheureuse invitation de presse et d'une éventuelle interview de 10 minutes au téléphone, cela veut dire que les affaires vont bien pour la nouvelle vedette en question et qu'on n'a pas besoin de vous.

De fait, Coeur de pirate ne semble avoir besoin de personne. Hier soir, à la Cigale, on avait rajouté pas loin de 300 ou 400 places debout au millier de places assises de ce vieux et joli théâtre à l'italienne proche de Pigalle et devenu le passage obligé pour toutes les nouvelles vedettes de la chanson française.À l'orchestre, beaucoup de spectateurs avaient renoncé à voir la chanteuse-pianiste au-dessus du mur humain et se contentaient d'écouter la musique, assis par terre. Au balcon, on avait investi les escaliers.

Il y a un an, Béatrice Martin avait triomphé à la Boule noire, la petite salle de 400 places située au sous-sol de la Cigale. En mars prochain, elle fera son premier Olympia. Coeur de pirate, comme l'écrivait fin août la Voix du nord, le grand quotidien de Lille, «est en train de faire une entrée fracassante dans la chanson française».

Sur la petite scène de la Cigale, mise en valeur par les éclairages, on ne voit que Béatrice Martin, petite Lolita surdouée du piano à la voix d'adolescente - elle a semble-t-il fêté ses 20 ans le 22 septembre -, qui se contente de quelques introductions et commentaires acidulés avant d'attaquer les chansons de son album. Toutes, sans exception, sont entonnées en choeur par une petite moitié de la salle, qui semble connaître l'intégralité des textes, pourtant compliqués.

Un peu à l'image de Pascale Picard, Béatrice Martin s'est construit en 12 mois en France une formidable réputation souterraine. À la fin de chaque pièce, une énorme ovation. La gamine tatouée passe les trois quarts du spectacle assise à son piano et, quand elle est debout au micro, elle ne fait pas vraiment une démonstration de danseuse. Mais peu importe: une star est née. Avec ce double avantage sur Pascale Picard qu'elle correspond à tous les stéréotypes sur les blondes et qu'elle écrit, compose et chante en français. Avec un grand talent.

Dès le départ, de puissantes fées françaises se sont penchées sur son berceau. Un journaliste du magazine culturel intello-branché Les Inrockuptibles l'avait vue aux FrancoFolies de Montréal en 2008. Tout comme la maison Barclay - désormais dans le giron Universal -, qui l'a immédiatement mise sous contrat pour la France.

Il y a eu le Printemps de Bourges en avril dernier. Tout de suite Béatrice Martin a été remarquée. À cause de «sa voix irrésistible», dit la Voix du nord. Un extrait de son album, Comme des enfants, a tourné tout l'été dans les grandes radios musicales et généralistes: on ne pouvait pas ne pas le remarquer, de même que son vidéoclip. Sorti le 11 mai, l'album serait aujourd'hui à près de 100 000 exemplaires vendus (ou en bac). Il s'agit de l'un des grands happenings musicaux de l'année 2009. Son album, écrit le Figaro, est «un écrin de velours abritant 12 textes brillants».