Ils ont troqué les tambours en peau contre des synthétiseurs et remplacé les chants de gorge par le slam: une poignée de jeunes autochtones canadiens réinventent la musique des «Premières Nations», composant du rap, de la pop ou du reggae teintés d'accents et de préoccupations qui ne dépassent que rarement les frontières des réserves.

«On est capables de rester vrais, même si on ne porte plus de plumes !», lance Samian dans son tube «La Paix des braves» avec une verve et une gestuelle dignes des rappeurs américains ou français. Premier rappeur à chanter dans une langue autochtone, ce jeune Algonquin né dans une réserve du nord du Québec est, avec la chanteuse inuit Elisapie Isaac, l'une des deux figures de proue de la nouvelle musique autochtone canadienne.

«Une nouvelle génération avec de nouvelles formes d'expresssion où l'oralité est extrêmement importante», commente pour l'AFP André Dudemaine, président de Présence Autochtone, festival qui depuis vingt ans met à l'honneur la culture amérindienne.

Du chanteur de reggae Shauit, originaire d'une communauté d'Innus de la côte nord du Golfe du Saint-Laurent, au DJ Madeskimo, qui vient du territoire inuit du Nunavut (nord), en passant par la doyenne Buffy Sainte-Marie, une chanteuse folk née dans une réserve de Saskatchewan (centre), tous les styles sont concernés.

«Ce sont des jeunes qui ont une culture plus métissée et qui permettent de mieux faire le pont entre l'expression des Premières nations (Indiens, métis, Inuits) et le vaste auditoire canadien», souligne M. Dudemaine.

«On a plus accès à ce qui est moderne et on aime vraiment ça, dit à l'AFP Elisapie Isaac. On commence à s'exprimer artistiquement, pas juste avec les petites sculptures... l'art est vraiment en train de bouger».

Nés dans des communautés extrêmement isolées, Samian et Elisapie Isaac n'ont pratiqué aucun instrument pendant leur jeunesse. C'est en écoutant des artistes occidentaux qu'ils se sont fait l'oreille et ont développé leur style.

«Je m'identifie plus au rap français, celui qui vient des banlieues... c'est la même affaire que ce qui se passe ici dans les réserves», dit Samian, confiant apprécier Abd Al Malik, Kery James et Grand Corps Malade.

Retiré à sa mère à 8 ans, Samian a été séparé de ses soeurs et placé chez un prêtre blanc, où il ne parlait plus la langue de ses ancêtres. Ecrire en Algonquin n'est pas évident pour lui: «Je demande souvent à ma grand-mère de m'aider, par téléphone ou par Internet».

Pour sa part, Elisapie Isaac a écouté avec passion du jazz pendant sa jeunesse passée au village arctique de Salluit. Elle réalise en 2001 son premier album Taïma. Les chansons aux rythmes lents et aux paroles françaises et inuktitut (la langue des Inuits) narrent la vie de nomades des Inuits, tout en conservant une facture «moderne».

Dans «There will be stars», sorti ce mois-ci au Canada, la belle Inuit adopte un ton résolument plus jazz, voire groove, entourée de violons, guitares, basses, synthés et percussions.

«Les Inuits n'entendent jamais ces façons de jouer avec les mots, c'est un peu épeurant», confie-t-elle. «Je fais des chansons d'amour super charnelles et sensuelles: les femmes inuits ne parlent jamais comme ça!»

L'émergence de ces artistes «va créer un sentiment de fierté chez les Premières Nations et va avoir un effet positif sur le goût d'apprendre ou de parler leur propre langue», croit André Dudemaine.

Encore faut-il que les radios veuillent bien passer leurs chansons.

Car bien que le Canada compte près de 1,3 million d'autochtones, sur 33 millions d'habitants, aucun quota obligatoire n'est prévu pour leur musique, comme c'est le cas pour les francophones.

Si bien que leurs chansons se retrouvent souvent dans la rubrique «musique du monde».