Après une éclipse de quelques années, Elisapie Isaac est de retour avec un premier album solo. Un disque dont la diversité musicale étonnera sans doute les fans du défunt duo Taima. Rencontre avec une fille relaxe doublée d'une artiste intense.

Il y a cinq ans, Elisapie Isaac a été happée par un véritable tourbillon. La jeune femme, qui avait quitté son Nunavik natal pour étudier le journalisme à Montréal, lançait le premier album de Taima, le duo qu'elle formait avec Alain Auger, et recevait en même temps le prix Claude-Jutra du meilleur espoir pour son documentaire Si le temps le permet.

 

«Oui, c'était beaucoup de choses en même temps, mais je suis comme ça», dit-elle sur le ton de l'évidence quand je la rencontre pour parler de son premier album solo There Will Be Stars. «Je suis plutôt relaxe, mais quand c'est le temps de la création, je suis un peu intense. J'étais alors dans un gros questionnement, ça ne me suffisait pas de faire de la musique. D'ailleurs, dans ma tête, je ne suis devenue chanteuse qu'un an près la sortie de l'album de Taima.»

Ces dernières années, Elisapie Isaac est devenue maman - «Je suis restée avec ma fille, c'était comme un rêve», dit-elle, des étoiles dans les yeux - et a pris le temps de réfléchir à ce qu'elle avait le goût de faire. D'autant que Taima s'est dissout en 2007 alors que le travail était entrepris en prévision d'un deuxième album. «On s'est rendu compte qu'on forçait les choses, ce qu'il ne faut surtout pas faire en création, explique-t-elle. Mais nous sommes toujours amis et je réalise encore plus aujourd'hui qu'Alain a beaucoup donné. Sinon ça n'aurait pas marché; moi, je n'avais pas les couilles, je suis très low profile. Mais je pense que j'ai assez d'assurance maintenant, j'ai besoin de m'affirmer.»

Les grands frères

Petit à petit, la chanteuse a eu le goût de recommencer à explorer sa «vision d'artiste». Ce qu'elle fait sur There Will Be Stars avec des collaborateurs comme le réalisateur et homme à tout faire Éloi Painchaud, Antoine Gratton, Martin Léon et Fredric Gary Comeau, qu'elle a connu à son arrivée à Montréal et dont elle a adapté la chanson Nothing In This World Is Free.

«Parce que je me retrouvais seule, j'ai senti le besoin de m'entourer de grands frères, dit-elle. Le premier, ç'a été Martin Léon que je connais depuis longtemps. Je lui ai fait entendre Turning My Back. Ça faisait longtemps que je la chantais, chaque fois que j'étais triste. C'était trois accords, ça me gênait. Il m'a dit: «Garde-la comme ça, suspendue, c'est bon.» Deux semaines plus tard, il l'a réécoutée et il m'a dit qu'il entendait un petit groove

Turning My Back est une chanson étonnante avec une longue envolée orchestrale qui renvoie au disco des années 70. «Tout le monde pense que c'est Love Is in the Air, convient Elisapie en souriant. C'est un mini-clin d'oeil. On ne pouvait pas non plus faire du pop bonbon avec ça, c'est quand même une chanson un peu mélancolique. Mais quand Martin m'a fait jouer son petit groove à la basse, ça m'a fait du bien, j'ai pu laisser aller la douleur. On peut danser, la vie est trop courte pour vivre dans la misère...»

Il y a en effet dans There Will Be Stars une lumière qui n'était pas apparente dans le folk-country-rock atmosphérique de Taima. «Je ne savais pas que je pouvais chanter et être joyeuse», dit Elisapie. Butterfly, écrite avec Painchaud et l'ex-Taima Roger Miron, et Out of Desperation sont des chansons pop-rock irrésistibles, tandis que Navvaatara et Why Would I Cry donnent dans le rock à textures plus ambitieux. La plupart des chansons sont en inuktitut et quelques-unes en anglais, mais la chanteuse y mêle souvent les deux langues, comme elle le faisait avec Taima.

Signée Desjardins/Lapointe

L'unique chanson en français, Moi, Elsie, est un cadeau de Richard Desjardins, qu'elle a relancé pendant plus d'un an avant qu'il ne lui donne ce texte l'an dernier. «Il m'a demandé ce que je voulais dire, raconte-t-elle. Je pensais qu'il allait me soumettre une idée, je lui ai même demandé s'il avait un bout de phrase jeté à la poubelle avec lequel j'aurais essayé de faire une chanson... Puis j'ai eu une idée: une fille du Nord écrit à un homme blanc qui la quitte alors qu'elle aurait tellement le goût qu'il l'amène à Montréal ou à Paris.»

Moi, Elsie aborde aussi le rapport de l'artiste à ses frères qui viennent au monde avec une flèche dans le cou/quand ils parlent ça leur fait mal. «Ça m'a fait très peur, confie la chanteuse. Je savais que Richard Desjardins ne ferait pas les choses à moitié, que ça allait être pointu, un peu cru. Mais je ne pouvais pas dire ça de mon frère, de mes cousins. Mon chum (le comédien Patrice Robitaille) m'a rappelé que c'était de la poésie et j'ai compris que c'est mon histoire, c'est l'histoire de ma mère parce que mon père est un Blanc, donc je peux vraiment bien la défendre.»

Comme Desjardins n'avait pas le temps d'en composer la musique, elle a tout de suite pensé à Pierre Lapointe, «un gars qui écrit au piano», pour cette chanson qu'elle voulait dépouillée, intime. «Pierre ne pouvait pas non plus, il montait son show Mutantès. Finalement, je pense qu'il a vraiment pris le temps de lire le texte, et il a pleuré. Une semaine plus tard, il avait écrit cette musique.»

Elisapie Isaac donne quelques concerts en trio cet automne et elle ne veut pas attendre cinq ou six ans pour sortir un nouvel album de ses chansons. Elle a aussi dans ses cartons un autre projet musical et elle n'a pas non plus renoncé à un documentaire qui porterait encore sur son pays d'origine. Ou, dit-elle, un film flyé sur le regard qu'une fille du Nord porte sur les gens d'ici: «Souvent, les cinéastes viennent dans le Nord, moi, j'ai le goût de faire le contraire.»

ELISAPIE ISAAC

THERE WILL BE STARS

VÉGA MUSIQUE/DEP

 

EN UN MOT

La lumineuse chanteuse d'origine inuk, qu'on a connue dans le duo Taima, vole désormais de ses propres ailes dans un premier album solo à la fois léger et ambitieux.