À 28 ans, Yaron Herman est à se tailler une place de choix parmi les pianistes émergents du jazz mondial. En témoigne sa troisième escale montréalaise pour la troisième année consécutive.

«Je vous ai déjà dit que je disposais encore d'une assez grande marge de progression technique», réplique-t-il lorsque l'on lui fait remarquer que sa virtuosité est encore plus remarquable qu'elle ne l'était l'an dernier.

 

Yaron Herman a la mémoire vive et le sourire en coin. Transplanté à Paris, le pianiste israélien se souvient clairement avoir causé à La Presse de la spécificité de sa formation, fondée sur un apprentissage tardif du piano (il a commencé à l'âge de 16 ans) et de la musique en général. Nous avions alors parlé du développement technique d'un instrumentiste de niveau international, développement qui se prolonge bien au-delà de la vie estudiantine.

Il faut rappeler que ce musicien extrêmement doué a pu bénéficier d'une formation atypique (du prof israélien Opher Brayer), une approche pédagogique qui a produit des résultats exceptionnels. Philosophie du jeu et de l'impro. Philosophie tout court. Liberté d'action dans un cadre rigoureux et exigeant. Technique pianistique en phase parfaite avec la personnalité de l'interprète. Passion débordante. Profondeur de l'expression. Singularité. Sensualité du corps - sa gestuelle « chorégraphique « (il est souvent debout et surplombe les ivoires) n'est pas sans rappeler celle de Keih Jarrett, c'est d'ailleurs l'unique rapprochement que l'on puisse faire avec le monument.

Voilà la troisième escale montréalaise de Yaron Herman, un des jazzmen les plus intéressants à émerger de la planète jazz. Ce 17 septembre à l'Astral, il se produira avec le même trio qu'il nous a présenté l'an dernier au Gesù : Matt Brewer à la contrebasse, Gerald Cleaver à la batterie. Le contenu d'un nouvel album sera le plat principal de la rencontre jazzistique : l'excellent Muse vient de paraître sur étiquette Laborie, l'album comprend aussi d'ailleurs les interventions du quatuor à cordes Ébène - à l'occasion, l'ensemble français se joint au trio, mais ce ne sera pas le cas à Montréal.

La matière de Muse? Con Alma de Dizzy Gillespie. Isobel de Björk. Lamidbar d'Alexander Argov et Lu Yehi de Naomi Shemer, auteurs-compositeurs renommés en Israël. Hormis ces relectures, le répertoire est constitué de matériel original de Yaron Herman, à l'exception d'une paire de pièces signées Matt Brewer. Standards, relectures du répertoire pop, musiques inédites.

« Mes nouvelles compositions, estime l'interviewé, sont peut-être un peu plus complexes, plus matures, un peu moins proches de la pop que dans mes albums précédents. J'essaie de rester proche d'univers musicaux qui me sont très chers, mais je veux aussi mettre en place mon propre espace de création, c'est-à-dire exprimer au piano ce qui me traverse l'esprit. Ainsi, je n'ai cessé de composer en tournée, depuis la sortie de l'album précédent - A Time For Everything.

« Ma musique a pris une autre dimension avec la scène ; l'interaction avec le trio est devenue plus intéressante et plus profonde, cela m'a inspiré d'autres musiques pour cet ensemble. J'ai commencé à écrire des morceaux dans les avions et les trains, on a repris ces compositions en concert. Et voilà. Cette nouvelle matière m'a permis d'explorer autre chose. «

Inutile d'ajouter que l'univers musical de Yaron Herman ne cesse de prendre de l'expansion, comme c'est le cas de sa technique pianistique.

« Ces derniers mois, raconte-t-il, j'ai écouté plein de choses, de la musique classique de toutes époques - Bach, Scriabin, Bartok, les grands maîtres du contrepoint comme Couperin ou Froberger, etc. J'adore Avatar, le dernier album de Gonzalo Rubalcaba ; sa touche si personnelle, ce contrôle du son de plus en plus profond. Également, j'écoute nombre de pianistes de jazz des époques antérieures - Art Tatum, Bud Powell, Thelonious Monk, Lennie Tristano, Bill Evans, etc.»

À l'instar de son collègue parisien Baptiste Trotignon, notre Parisien d'adoption a créé un ensemble avec des pointures new-yorkaises de sa génération : « Avec Matt et Gerald, dit Yaron, ça se passe toujours très bien. Or, lorsqu'ils ne peuvent pas jouer, ma musique n'en souffre pas. L'esprit en reste le même quels que soient mes musiciens.»

Samedi dernier, le trio se produisait au Festi Jazz de Rimouski, il était mardi soir au Jazz Standard de New York, pour ne nommer que deux étapes de l'itinéraire. Dans quelques semaines, ce sera au tour du Japon et de la Corée.

« J'habite dans une valise », résume-t-il.

Chose certaine, il s'en passe des choses dans cette valise !

Le trio de Yaron Herman à l'Astral le jeudi 17 septembre.