Tiken Jah Fakoly revient à Montréal pour un grand concert gratuit ce soir à la place des Festivals. Une autre étape dans le combat musical du reggaeman ivoirien.

Les profits de la dernière tournée de Tiken Jah Fakoly devaient servir à construire des écoles en Afrique de l'Ouest. En Côte d'Ivoire et en Guinée, la mission a échoué.

«On demandait environ 2000 francs (CFA) par billet. Mais les agents de sécurité laissaient les gens entrer sans billet, en échange de 1000 francs dans leur poche. Peu de gens ont donc acheté un billet. La corruption ne connaît pas la pitié, même pour les causes humanitaires. On n'a rien pu donner, on a même perdu de l'argent», raconte-t-il.

Le ton est placide et serein. Contrairement à certains chanteurs engagés, il reste toujours clair et concis. Toujours orienté vers le message, même avec son t-shirt de l'Afrique en signe de paix, acheté à Bangkok.

Retour à l'histoire de la tournée, donc, qui ne finit pas trop mal. «Au Burkina, c'était mieux organisé, poursuit-il. On a récupéré un peu d'argent. Et les concerts en France (Lyon et Saint-Étienne) se sont bien déroulés. L'argent de ces billets a permis de construire un collège au Mali et une école primaire dans le nord de la Côte d'Ivoire.»

Ce sera ce soir son cinquième concert à Montréal. Il n'a pas lancé de nouvel album depuis son passage au Métropolis l'été dernier. Mais il assure qu'on ne verra pas le même spectacle. «Je vais jouer des pièces moins connues de mon répertoire, qu'on n'a jamais entendues chez vous.»

Il ne portera pas non plus le même boubou (habit traditionnel) qu'à ses débuts, celui où il était écrit «depuis 1235 la lutte continue». On le lui a volé.

L'année 1235 est celle de l'édification de l'Empire mandingue, lorsque Soundiata Keïta et ses troupes vainquirent celles du tyran Soumaoro Kanté.

«Un de mes ancêtres directs était le lieutenant de l'empereur, raconte-t-il. L'inscription sur mon boubou, c'était pour montrer que je poursuis sa lutte. On n'était qu'au XIIIe siècle, mais il y avait déjà un germe de démocratie avec une Constitution (Charte de Kurukan Fuga) et des droits aux hommes et aux femmes.»

Cette histoire, il l'a apprise par lui-même, à «18 ou 19 ans». «À l'école, en Côte d'Ivoire, on ne nous parlait que de la Première ou de la Deuxième Guerre mondiale, de Louis XIV et de Napoléon. En Occident, l'histoire de l'Afrique n'est pas plus enseignée. Pourtant, notre peuple n'a pas commencé à exister avec l'arrivée des explorateurs et l'esclavage. Si on tait notre histoire, on tue notre fierté», lance calmement cet émissaire du panafricanisme et auteur entre autres des disques Cours d'histoire, Françafrique, Coup de gueule ainsi que L'Africain, et plus récemment objet du livre Tiken Jah Fakoly: L'Afrique ne pleure plus, elle parle.

Au-delà de l'arme

On l'aura compris, le reggae est une arme de combat pour Fakoly. Mais on aurait tort de réduire ses chansons à des flèches éditoriales. Ce serait oublier la charge émotive qui décuple le message. Et aussi la rythmique contagieuse qui hausse la température à chacun de ses concerts. Une rythmique plus africaine que jamaïcaine, explique-t-il.

«J'essaie d'apporter une couleur particulière avec des percussions traditionnelles, et aussi des guitares mandingues et de la kora (qu'on ne devrait pas voir sur scène ce soir). J'aime le reggae jamaïcain, mais je ne veux pas le copier. Après tout, ses racines sont africaines. La mère ne doit pas imiter le fils.»

Son exil de la Côte d'Ivoire est officiellement terminé mais, en attendant que la situation politique s'y stabilise, il reste au Mali. C'est là qu'il prépare son nouveau disque, African Revolutions. «Cette révolution doit venir par l'éducation et la bonne gouvernance. Et elle doit venir de l'intérieur, pas de l'étranger. Il faut que l'Afrique brille, mais la lumière ne descendra pas du ciel.»

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Tiken Jah Fakoly à 21 h ce soir à la place des Festivals. Gratuit.