Jane Birkin a toutes les raisons du monde d'être à bout de souffle. Son train vient d'arriver avec deux heures de retard et, quand je la rappelle, elle est à mettre la touche finale à son album Live au Palace qui sortira le 22 septembre. La veille, elle chantait à Valence et l'avant-veille, au festival de théâtre d'Avignon, elle lisait un texte que le dramaturge québécois Wajdi Mouawad a écrit exprès pour elle : La sentinelle.

Mais dès l'instant où elle prend le combiné, elle est toute là, volubile à souhait, répondant longuement aux questions comme si le temps était suspendu. «Je vais bientôt arrêter de chanter, dit-elle. Il faut se laisser désirer un peu et laisser Charlotte et Lou (Gainsbourg et Doillon, ses deux filles) faire leur tour de chant. Moi, je reviendrai dans trois ou quatre ans, comme le fait Souchon.»

Si elle vient chanter son plus récent album, Enfants d'hiver, au Québec, c'est parce que c'est ici qu'il a reçu le plus bel accueil. En France, dit-elle, le public, habitué à l'entendre chanter Gainsbourg, n'a véritablement adopté ces premières chansons signées Birkin qu'après les avoir entendues en concert.

Comme son titre le suggère, cet album baigne dans la nostalgie de l'enfance, qui devient de plus en plus présente en vieillissant, constate Birkin avant de raconter d'où lui est venue son inspiration : «Je tremblais à l'idée de faire un direct dans l'émission de Michel Drucker, même si j'ai fait tellement de télévision et que Drucker doit être l'un des hommes les plus doux du monde. Je rendais dingue mon entourage et mes enfants alors je suis allée voir un hypnotiste qu'Étienne Daho m'avait recommandé. Il a voulu savoir pourquoi j'avais peur. J'ai peur d'être jugée, ai-je dit. Il m'a alors demandé quand je m'étais vraiment sentie heureuse. Et j'ai dit : "Quand j'étais enfant, je n'étais pas jugée, j'étais juste heureuse." Comme j'ai été heureuse les trois fois où j'ai été enceinte et comme je suis heureuse avec mes petits-enfants, qui ne me jugent pas. Ils trouvent ça drôle de faire des pique-niques dans le bois de Boulogne, ils aiment bien essayer de pêcher des poissons rouges avec des sacs en plastique dans les bassins du Luxembourg. Avec eux, je m'amuse.»

La muse de Gainsbourg

Birkin est «très fière et très émue» d'avoir inspiré des chansons à Gainsbourg, d'avoir été sa muse, et pas forcément pour les chansons gaies, précise-t-elle : «J'ai toujours pensé que je chantais sa face B - lui-même trouvait cette formule juste j'ai aussi chanté ses malheurs, comme Amours des feintes quand je l'ai quitté. Il m'a utilisée comme un metteur en scène. J'ai joué le rôle de Serge, j'étais Gainsbourg encore quand il s'est transformé en Gainsbarre. Il permettait que je chante son côté féminin, il en avait besoin, et j'étais honorée que ça soit moi.

«Comme j'ai dit à Prague, il y a un avant et un après-Gainsbourg comme il y a eu un avant et un après Kafka, poursuit-elle. Serge a réinventé le langage, il a été le premier à utiliser l'anglais, il a inventé des mots comme les aquoibonistes. Comme Picasso, Serge a eu des périodes différentes, de sa période jazz à You're Under Arrest. Il est mort deux jours avant de partir pour La Nouvelle-Orléans faire un disque de jazz avec de vieux jazzmen, il aurait encore été 15 ans en avance sur son époque. Ce qui m'enchante, pour quelqu'un d'aussi peu sûr, d'aussi peu aimant de lui-même, c'est qu'il n'a pas subi le sort de Modigliani ou des poètes obscurs qui ont été aimés après leur mort, comme Keats. Je pense qu'il savait qu'après la mort de Coluche, il était l'homme le plus aimé de France.»

Aux FrancoFolies, Birkin chantera une demi-douzaine de chansons d'Enfants d'hiver et de Gainsbourg, mais pas forcément celles qu'on attend. «Je n'ai jamais chanté L'eau à la bouche et je n'ai jamais osé chanter Les petits papiers après Régine, mentionne-t-elle. Je chante aussi des choses anciennes et mes classiques Fuir le bonheur et Amours des feintes. Et j'insiste pour chanter Aung San Suu Kyi (ndlr : la dissidente birmane); je sais bien que je l'ai faite chez vous l'année dernière, mais comme elle est en prison et qu'elle risque sa vie, ce n'est pas le moment de flancher.»

Jane Birkin, le 7 août, 20h, au Théâtre Maisonneuve.