Quand il assiste à un concert, Victor Arsenault, 29 ans, se rend sans perdre une minute au pied de la scène. «Dans l'oeil de l'ouragan», précise-t-il. Il aime quand ça brasse, surtout lorsqu'il décolle du sol et qu'il navigue sur les spectateurs. «Une fois que tu essaies, c'est plus fort que toi, tu dois recommencer. J'ai la piqûre.»

Lors des concerts de Rise Against et Rancid, en juin, il a plané sur la foule au moins une dizaine de fois. Il en a fait autant lors du dernier passage à Montréal du groupe Bad Religion. «Le feeling est extraordinaire, confie-t-il. C'est comme si tu flottais au ralenti dans des rapides et, en même temps, tu es bourré d'adrénaline, tu es vraiment allumé. Il y a plein de mains autour de toi, mais tu sais que tu peux tomber à tout moment.»

Bien que controversée, voire bannie par certains artistes, la pratique du crowd surfing reste répandue. «C'est très populaire», affirme Dominique Thomas, porte-parole de Woodstock en Beauce, qui accueille jusqu'à 25 000 festivaliers simultanément sur son site. «Durant les prestations de groupes punk ou rock, il y a toujours beaucoup de body surfers, surtout des gars, mais on voit de plus en plus de filles en faire.»

Selon Martin Coutu, de Quebecpunkscene.net, la pratique était autrement plus populaire dans les années 90. «Il était commun d'assister à une bonne cinquantaine de stage dives par chanson dans les shows punk-rock. Aujourd'hui, je dirais que 25 spectateurs sur 1000 s'envoient en l'air.»

Une pratique risquée

«Ce n'est pas ce qu'il y a de plus prudent comme activité, mais comme on ne peut l'empêcher, on la tolère, reconnaît Dominique Thomas. On augmente la sécurité devant la scène. Ça se passe habituellement bien.»

Responsable d'intervention au service des premiers secours de la Croix-Rouge canadienne à Montréal, Éric Tremblay désapprouve totalement le crowd surfing. «Les risques de blessures sont importants. Une chute de la hauteur d'une personne est un indice important de traumatisme en secourisme. Même si c'est rare, on peut voir des blessures à la tête ou à la colonne associées à ce type de chute. Il y a aussi des risques d'entorses ou de fractures.»

L'urgentiste François Aubin considère aussi l'activité comme risquée. Pendant une dizaine d'années, il a été coordonnateur de l'équipe médicale de Woodstock en Beauce. «Certains tombent, c'est évident, mais je n'ai jamais vu de traumatismes majeurs. Certains consultent pour des maux de dos, des égratignures, des ecchymoses ou des entorses.»

«Dans tous les bons concerts punk-rock et hardcore, il y en a qui se cassent la gueule, indique Martin Coutu. Il n'est pas rare d'en voir quelques-uns quitter la salle en saignant du nez.»

Côte fracturée

Bruno Luci, 23 ans, est adepte de crowd surfing depuis l'adolescence. Il a navigué une centaine de fois sur la foule. Jamais il n'a été blessé gravement. «J'ai déjà reçu un pic de cheveux dans un oeil et quelques coups, mais c'était involontaire. Ça fait partie du jeu. Si tu tombes, on va te relever sans attendre. C'est toujours respectueux.»

Martin Coutu a été moins chanceux. Juché sur un moniteur sur la scène, il a fait un saut de trois mètres et il a abouti... sur le plancher. Il s'est fracturé une côte. «J'ai eu un peu trop confiance en des gens qui ont cru bon me laisser finir ma course par terre. Deux des musiciens ont même arrêté de jouer pour s'assurer que j'allais bien. Le stage dive fait plus mal, on tombe de haut.» Plonger de la scène est d'ailleurs interdit dans la majorité des grands concerts.

Rarement, ça tourne mal. Lors d'un concert des Smashing Pumpkins à Vancouver, en 2007, un spectateur est mort après avoir navigué sur la foule. Le groupe interdit depuis la pratique dans ses spectacles. En 2004, les Beastie Boys ont interrompu une chanson lors d'un concert pour demander à la foule de cesser de surfer après qu'un spectateur eut été blessé. «C'est dépassé. Gardez cette merde pour les MTV Awards», auraient-ils lancé. En 2000, lors du Roskilde Festival au Danemark, huit personnes sont mortes piétinées devant la scène lors d'une prestation de Pearl Jam. Depuis, le crowd surfing est illégal dans la plupart des concerts en Europe. «Il va de soi que l'agitation de la foule a une incidence sur les risques liés au crowd surfing, dit Martin Coutu. Plus ça bouge, plus on risque de de se faire piétiner une fois en dessous.»

«C'est violent, mais on est tous là pour vivre la même chose, conclut Victor Arsenault. C'est risqué, on le sait, et c'est ce qui nous procure des sensations fortes.»

Éviter la chute, trucs d'initiés

> Choisir une foule dense et réceptive. «Plus tu t'éloignes vers l'arrière de la salle, plus tu risques de te retrouver au-dessus d'un vide», indique Bruno Luci.

> Garder les bras haut tendus, la tête relevée et les pieds légèrement plus hauts que le corps.

> Porter des vêtements confortables. Pas trop amples, car on risque de se retrouver nu comme un ver.

> Éviter les bijoux pour limiter les risques de blessures, de perte ou de vol.

> Attacher doublement ses souliers de préférence mous. «Impossible de retrouver un soulier perdu dans le mosh pit», lance Bruno Luci.

> Éviter les vestes ouvertes, les fermetures éclair ou les ceintures cloutées qui pourraient causer des lacérations.

> Pour éviter les mains baladeuses, les filles ont avantage à surfer sur le dos.

> Replier les jambes afin de tomber sur ses pieds pour arrêter.