Rendons grâce à Jah de nous avoir épargné de l'orage qui menaçait le spectacle Rocksteady: The Roots of Reggae depuis quelques jours! Le troisième événement de cette édition anniversaire du Festival de jazz s'est déroulé sous un ciel dégagé, et dans une bonne humeur contagieuse: il n'y avait qu'à voir toutes ces têtes bouger sur la Place des festivals bondée pour comprendre que, malgré l'anonymat relatif des musiciens invités et des chansons qu'ils présentaient, l'hommage au rocksteady a été un succès.

«On n'est pas peu fiers d'avoir amené tous ces musiciens de Jamaïque», nous a dit Laurent Saulnier, de l'organisation du Festival, avant le lever du rideau. Avec raison. Car en plus des neuf chanteurs mis en vedette, les dix musiciens de l'orchestre qui les accompagnait étaient aussi tous Jamaïcains, et certains jouaient même de leurs instruments entre 1966 et 1968, l'époque où le rocksteady régnait dans les boîtes. Un orchestre solide comme le rock, une section de cuivres impeccable (avec les vétérans des années 70 et 80 Glen DaCosta, David Madden et Calvin «Bubbles» Cameron), et le trio vocal The Tamlins au choeur. Parfait.

 

C'est Leroy Sibbles, leader des Heptones, qui a ouvert le bal, en force, d'abord avec People Rocksteady (succès de The Uniques), puis avec la superbe Equal Rights, une de ses compositions. Fier et énergique, Stranger Cole a offert ses Koo Koo Doo et Bangarang, cette dernière étant en lice pour le titre de première chanson de l'ère reggae.

L'artiste, qui compense par son dynamisme sa voix usée, a même offert quelques frénétiques pas de danse qu'ont sûrement reconnus les plus âgés des nombreux membres de la communauté jamaïcaine de Montréal vus sur la Place des festivals!

The Tamlins, eux, ont chanté Stop That Train des Wailers, avant de permettre à l'un d'eux, Junior Moore, de chanter leur plus grand succès, Baltimore. Or, pour être pointilleux, le seul reproche qu'on ferait à ce spectacle est de s'être éloigné de l'hommage au rocksteady pour piger dans le répertoire purement reggae - Baltimore, excellente au demeurant, sur un riddim de Sly&Robbie, est un succès de la fin des années 70...

De même, après The Tide is High (des Paragons) et No No No (de Dawn Penn, qui n'a pu faire le voyage bien qu'elle soit du documentaire), la grande Marcia Griffith a invité sa consoeur Judy Mowatt à chanter deux titres reggae de Bob Marley, No Woman No Cry et Could You Be Loved?. Pas du rocksteady, mais du bonbon pour la foule, qui a apprécié chaque note poussée par ces deux membres émérites des I-Threes, le trio vocal qui a accompagné Marley jusqu'à la fin de sa vie.

Ensuite, le percussionniste Bongo Herman a fait son devoir de mémoire, demandant qu'on applaudisse l'arrangeur et guitariste trinidadien d'origine et montréalais d'adoption Lynn Taitt, personnage-clé de l'ère rocksteady, avant d'interpréter un grand succès du regretté Alton Ellis (Rocksteady).

La fin approchant, Hopeton Lewis a pris la scène d'assaut avec prestance, chantant ses succès Sound&Pressure et surtout l'excellente Take it Easy, en racontant comment il était «trop paresseux pour danser sur le ska», d'où la volonté de ralentir le rythme sur cette chanson... C'est sa version de l'origine du rocksteady, qu'il explique plus en détail dans le documentaire.

Finale en beauté avec Ken Boothe, «Mr. Rocksteady», qui a chanté Shanty Town de Desmond Dekker, puis ses propres succès Silver Words et Freedom Street (on en aurait pris davantage). Au rappel, toutes ces légendes d'autrefois ont entonné Rivers of Babylon (de The Melodians) et One Love de Marley, non sans d'abord avoir présenté à la foule Lynn Taitt en personne, l'inspiration du documentaire et du concert présenté hier.

C'était fameux. Du bonheur pour les férus de pop jamaïcaine, beaucoup de plaisir pour le simple mélomane, le curieux ou le festivalier aguerri. Des sourires à perte de vue, du fond de la scène jusqu'à l'avenue du Président-Kennedy. Il faut saluer l'organisation du Festival qui, après le concert de Patrick Watson dimanche soir dernier, a eu l'audace de proposer un autre grand événement qui n'était pas tout naturellement fédérateur (comme l'a été celui de Stevie Wonder), parce que méconnu du grand public. La preuve a été faite hier soir: le jeu en a valu la chandelle.