Contrairement à qu'on avait annoncé -le concert d'hier avait été baptisé Time Out: Take 50-, Dave Brubeck n'a pas joué samedi soir l'intégrale du célèbre album de 1959 avec lequel il a écrit une page d'histoire. Le pianiste n'a pas pu répéter comme il l'aurait voulu les pièces de Time Out avec ses musiciens en raison de problèmes personnels suffisamment graves pour qu'il offre au Festival de jazz d'annuler son concert ou d'en livrer une version moins «événementielle». Ce qu'il a finalement fait.

S'il y avait des spectateurs déçus dans la salle Wilfrid-Pelletier, ils n'en ont rien laissé paraître. La très longue ovation qui a accueilli Brubeck et ses musiciens à leur arrivée sur scène n'était qu'un prélude aux chauds applaudissements qu'on leur a réservés pendant l'heure et demi qui a suivi. Ce public enthousiaste a tout de même eu droit à deux des pièces de l'album légendaire: Three To Get Ready et l'incontournable Take Five, évidemment très applaudies. Mais les musiciens ont eu droit à des ovations bien avant d'interpréter ces deux classiques.

D'entrée, Brubeck a présenté ces vénérables collègues : le batteur Randy Jones, dont le long solo énergique pendant Take Five  a rendu futile toute considération d'âge, le contrebassiste Michael Moore et le saxophoniste alto et flûtiste Bobby Militello, un monsieur grassouillet qui nous a servi les solos les plus vigoureux de la soirée et qui a même esquissé quelques pas de twist pendant Three To Get Ready.

En début de concert, ces messieurs nous ont joué du Duke Ellington, dont une version vitaminée de Take the A Train qui leur a valu de chauds applaudissements. Les premiers solos de Dave Brubeck ont été accueillis poliment sans plus. Son jeu paraissait hésitant en comparaison des interventions spectaculaires de Militello. Puis, lors d'un passage proche de la musique classique suivi d'une superbe version de Over the Rainbow avec une finale au piano tout en délicatesse, monsieur Brubeck a rallié les spectateurs. Par la suite, et jusqu'à la fin du concert, son fils cadet, Matthew, s'est joint au quartette. Son violoncelle a magnifiquement servi The Sermon on the Mountain et a même contribué de nouvelles couleurs à Take Five.

À 88 ans, Dave Brubeck marche d'un pas hésitant. On a vite constaté qu'il préférait être debout plutôt que de demeurer assis sur sa chaise orthopédique s'il n'avait pas à jouer du piano pendant le solo d'un autre. Après la plupart des pièces, il se tournait sur sa chaise pour saluer la foule ou se levait en s'appuyant sur son piano puis se dirigeait vers le micro pour nous raconter une anecdote, nous parler de ses quatre fils musiciens ou expliquer avec une touche humoristique les signatures rythmiques complexes de ses compositions.

Après un Take Five triomphal, Alain Simard et André Ménard sont venus sur scène remettre au pianiste un portrait de Louis Armstrong peint par Tony Bennett. Il l'a accepté avec gratitude, et nous a dit qu'il considérait le légendaire trompettiste comme «le plus important ambassadeur que les États-Unis aient jamais eu.»

Puis Dave Brubeck a retraité lentement vers les coulisses, appuyé par Simard et Ménard. Ils étaient sans doute quelques-uns dans la salle à se demander si nous c'était la dernière fois qu'ils applaudissaient le pianiste américain.