Joycé Silveira Palhano de Jesus, alias Joyce, est une artiste cruciale de la musique brésilienne au féminin. Près d'une quarantaine d'albums, un mari musicien qui l'accompagne depuis 30 ans, quatre filles dont deux chanteuses. Mère, épouse, féminine et féministe en plus d'être une grande artiste, Joyce est un personnage monumental.

Polyglotte, elle pratiquait son français avec Antonio Carlos Jobim, Vinicius de Moraes l'adorait. «C'est vrai... on dit que j'étais leur chanteuse préférée. Ils avaient été très généreux avec moi. Jobim était un homme de culture, il aimait les langues. Lui et moi parlions français ensemble, d'ailleurs. Je l'appelais Antoine-Charles Jobim! Un gentleman», raconte l'interviewée dans un français remarquable.

 

C'étaient les années 60, c'était l'âge d'or de la musique populaire brésilienne moderne. À peine sortie de l'adolescence, Joyce était propulsée au firmament national de cette mouvance culturelle qui a irradié la planète entière.

«Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'ai été la première auteure-compositrice-interprète brésilienne à m'exprimer en tant que femme. Ça avait fait scandale d'être la première parolière à écrire des rimes au féminin singulier.

«Je n'avais que 19 ans, c'était une manière naturelle pour moi. Ce n'était pas une prise de position féministe. Depuis, il y a toujours eu un point de vue féminin et féministe dans mon travail. En fait, j'ai toujours recherché l'autonomie. Même avec les maisons de disques, je ne me suis jamais engagée dans de longues associations. On m'a trouvée folle de faire ça au début, mais maintenant... l'argent des compagnies de disques s'envole. Ma méthode n'était pas si mal somme toute! Je suis fière d'avoir prévu la débâcle.»

Indépendante dans l'âme, Joyce Moreno n'a rien d'austère, même si elle impose le respect. On retient ce sourire dans la voix, cette porte ouverte à l'instinct, à l'indicible.

«Ma musique témoigne d'une progression naturelle. Cette musique est organique, l'inspiration provient des dieux de la musique. C'est un don, quelque chose de très spécial, très spirituel je crois. Le jazz dans ma musique? Il se trouve dans la liberté du jeu et de l'improvisation. Je laisse beaucoup d'espace à la création en direct. Et puis, il faut rappeler que la musique brésilienne et le jazz ont une source commune: l'impressionnisme français en fusion avec les rythmes de l'Afrique. Jobim, vous savez, était un grand fan de Debussy et Ravel.»

Le même idéal musical

Mariée depuis 30 ans au batteur Tutti Moreno, qui fait partie de son ensemble, Joyce est mère de quatre filles, dont deux sont devenues artistes. «La musique a beaucoup aidé à nous maintenir soudés. Nous avons le même idéal musical, nous sommes de la même génération, nous poursuivons les mêmes objectifs. Vraiment, il n'y a pas de compétition entre nous. J'aime son travail, son groupe a d'ailleurs été mis en nomination aux Latin Grammys. Je peux dire qu'il m'a beaucoup aidée à créer mon identité rythmique.»

Pour reprendre son image, la musique de Joyce suit une même ligne depuis ses débuts. «Bien sûr, il y a une évolution, il ne faut pas s'accrocher les pieds dans l'itinéraire», résume-t-elle.

On la questionne ensuite sur les étapes cruciales de sa carrière, outre ses débuts. Lancé en 1980, l'album Feminina vient en premier lieu: «C'était la première fois que je prenais la direction totale de ma musique. J'avais tout composé, créé les arrangements, écrit la plupart des paroles. C'était un disque dont j'avais le contrôle entier, pour la première fois de ma vie. Un moment vraiment important pour moi.»

En deuxième lieu, la redécouverte de sa musique par les DJ anglais a été un facteur de rayonnement. «Dans les années 90, ils ont mis en relief toute une génération d'artistes brésiliens comme moi, Marcos Valle, Joao Donato, Roberto Menescal, Carlos Lyra, etc. Ça m'a menée à Londres et ça m'a permis d'y faire des tournées une fois l'an depuis. J'y ai même déjà assuré la direction artistique d'une longue soirée brésilienne qui a été un grand succès.»

La voilà enfin à Montréal. Nous voilà à sa découverte avec quatre décennies de retard. «On va essayer de changer le tableau!»

Joyce Moreno se produit ce soir, 19h, au Club Soda.

EN UN MOT

Incontournable du jazz samba et de la musica popular brasileira, celle qui fut la chanteuse préférée de Vinicius de Moraes a beaucoup à dire, en mots et en musique.

ALBUM ESSENTIEL

Feminina, un album charnière pour l'auteure, compositrice, chanteuse et guitariste.