À maintes reprises, on a dit d'André Leroux qu'il était le plus virtuose de nos saxophonistes. Il excelle dans tous les contextes, du quatuor de saxophones Quasar au quartette du pianiste François Bourassa en passant par Bradyworks. Voici enfin Corpus Callosum, son premier album en tant que leader sur étiquette Effendi, trois ans après qu'il eut dressé la table avec un hommage à John Coltrane.

C'est la fin d'un après-midi ensoleillé, et André Leroux revient d'une des nombreuses répétitions auxquelles il prend part par les temps qui courent. Il repartira dans moins d'une heure afin de se préparer à un concert qu'il donnera avec le quartette dont il mène les destinées. En toute humilité, doit-on s'empresser d'ajouter. Sa détermination est celle d'un homme tranquille, qui aime visiblement profiter de la vie.

"C'est un regroupement de chums, amorce-t-il. C'est un projet de longue date entre le batteur Christian Lajoie et moi-même. J'avais connu Christian en jouant dans des croisières à la fin des années 80; nous sommes restés très amis. Christian n'est peut-être pas lié de près à la scène jazz (il a fait du rock, du blues, etc.), mais il écoute Coltrane depuis toujours. Le jazz est demeuré pour lui une passion. Nous avons d'ailleurs ce projet en tête depuis près d'une quinzaine d'années.

"Le pianiste Normand (Deveault), que nous avions aussi connu sur les bateaux, a vécu une quinzaine d'années en Guadeloupe par la suite, on voulait l'avoir avec nous dans ce projet. Maintenant qu'il est de retour à Montréal... Le contrebassiste Frédéric Alarie? J'ai commencé à travailler avec lui lorsque j'ai cessé les croisières. Avec lui et le batteur Yvon Thibault, on jouait au bar 2080 de la rue Clark. Toute la nuit, on jouait du Miles et du Coltrane. Pour Fred, Christian et moi, donc, le saxophoniste a été un maître."

Un son "coltranien"

Corpus Callosum provient de cette expérience et tout ce qui s'ensuivit autour de cette allégeance à John Coltrane, notamment ce concert hommage au fameux visionnaire qu'André Leroux a proposé en 2006 à l'Off festival de jazz. "Par la suite, souligne-t-il, j'ai voulu m'en détacher tout en conservant l'esprit de sa musique. Ainsi, chaque pièce de cet album est arrangée avec un son coltranien."

L'enregistrement de cet album a été réalisé à Joliette, plus précisément au studio de Denis Fréchette, ex-Bottine Souriante, mort subitement pendant la production de l'album. "On a passé plusieurs jours chez lui, raconte Leroux. On est partis de pas grand-chose, on a fait évoluer le concept. Sauf le batteur, chaque musicien du groupe a composé une pièce, j'en ai aussi choisi une du pianiste Jean-François Groulx, une autre de Joe Sullivan, et deux (et demie) de François Bourassa - composées par le pianiste dans les années 80, à l'époque où je me rendais à Sorel pour jammer avec François et ses amis."

On aura saisi que Corpus Callosum devient un véhicule important pour André Leroux.

"Un ensemble permanent? À partir de ce qu'on vient de faire, il y aura une suite. Je commencerai donc avec la matière de cet album. Je vais aussi me donner comme mandat d'écrire un peu plus. Mais je ne suis pas un compositeur, je n'ai pas d'expérience. J'essaierai donc de trouver d'autres terrains de jeu. Miles Davis, par exemple, allait fouiller dans les bibliothèques pour y trouver des oeuvres; il les analysait et les adaptait à son style."

Pas d'ambitions démesurées

Voilà un pas de plus dans la carrière du saxophoniste québécois, qui commence à peine à se faire connaître à l'étranger. Il dit effectivement voyager de plus en plus avec différents ensembles dont il est membre permanent: Quasar, François Bourassa, Bradyworks... "Mon propre groupe sera aussi pris en compte. Il me faut maintenant trouver le moyen de le diffuser", annonce-t-il.

Dans la mi-quarantaine, notre meilleur souffleur n'a pas d'ambitions démesurées. Tout le contraire. Sans pouvoir compter sur un agent pour sa carrière internationale, Leroux envisage quand même de passer à l'action. Résider plusieurs mois à New York ou Paris, par exemple. Inutile d'ajouter que son concert prévu au prochain Festival de jazz de Montréal ne risque pas de passer inaperçu.

"J'y vais à mon rythme, glisse-t-il en toute placidité. J'ai ma petite famille à Saint-Donat, j'y ai mon petit paradis. Ma conjointe est éducatrice, nous avons un enfant de 7 ans. J'ai aussi un appartement à Montréal où le rythme change complètement - répétitions, transport de matériel, etc. C'est un beau contraste."

On comprendra le choix du titre de ce premier album d'André Leroux en tant que leader: Corpus Callosum désigne en latin le corps calleux, cette substance du cerveau qui en relie les quatre lobes et qui en assure le "transfert inter-hémisphérique des informations" (dixit Wikipédia).

Quatre jazzmen, quatre lobes de la caboche, deux hémisphères... Tout est fort bien connecté chez André Leroux.

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Le quartette d'André Leroux se produira le 4 juillet, 18h, à l'Astral de la Maison du Festival Rio Tinto Alcan, dans le cadre du 30e Festival international de jazz de Montréal.