On n'oublie pas la voix d'Élisapie Isaac, découverte au début de la décennie au sein de Taima, duo qu'elle formait avec le guitariste Alain Auger. Son chant aérien lèche l'oreille et son magnétisme est à son paroxysme lorsqu'elle chante en inuktitut, sa langue maternelle. Tous ceux qui ont écouté le très bel album publié par Taima en 2004, un disque poétique mêlant folk, rock et le bleu glacé du trip hop, savent déjà cela.

Ce qu'on ne savait pas encore, c'est que la sympathique chanteuse inuite n'a pas que l'âme mélancolique. Sans complètement occulter sa part d'ombre, son disque solo à paraître au mois de septembre, et dont le titre actuel est There Will Be Stars, révèle son côté sucré. Des mélodies pop, des refrains accrocheurs et, dans une pièce intitulée Turning my Back, un délicieux groove presque... disco.

 

«J'avais envie que les gens sachent que je tripe aussi sur ABBA», m'a lancé Élisapie, lundi matin, en route vers le studio du réalisateur Éloi Painchaud, dans les Laurentides. Avec Taima, la chanteuse avait déjà affirmé son envie de ne pas verser dans le folklore inuit. Elle n'a pas changé d'idée. Elle demeure très attachée à la vérité du folk, mais s'est entichée de la pop inusitée de la Suédoise Lykke Li, du trio Peter Björn&John et de plusieurs artistes des années 70.

Il y a bien un tout petit peu de chant de gorge sur son album (dans la chanson Inuk, en fait), mais pour l'essentiel, il s'agit de folk d'esthète teinté de pop, de reggae ou de rock. Éloi Painchaud, de concert avec la chanteuse et les nombreux collaborateurs de qualité (dont Jace Lasek de Besnard Lakes et Martin Léon), a concocté des musiques souvent accrocheuses et fluides, ponctuées de moments musicalement riches. Alors si ce disque montre le côté sucré d'Élisapie, il ne le fait pas au détriment de son côté nutritif.

Ce que je retiens des chansons que j'ai pu entendre (un peu plus de la moitié de l'album), c'est leur audace. Les arrangements de cordes élégants (et un peu tordus) d'Antoine Gratton. Les guitares à la fois roots et modernes d'Éloi Painchaud sur une chanson intitulée Nothin' In this World (pensez à Marc Ribot et au son grinçant d'Osez Joséphine de Bashung). Les «la-la» pop de Out Of Desperation, la plus «Lykke Li» de There Will Be Stars.

Éloi Painchaud raconte que, la première fois qu'il a discuté avec Élisapie, elle a évoqué un ton proche de la «jubilation» et de la «rédemption». Deux termes qui renvoient à l'univers du gospel. L'esprit de ce disque, c'est un peu ça, même s'il ne frôle le gospel qu'une seule fois, dans Do You Hear Me, prière brute, crue même, et pourtant pleine de retenue. Le lien dans tout ça: la voix de la chanteuse. «Elle était le baromètre de la manière dont on agissait musicalement», précise le réalisateur.

Élisapie a d'ailleurs pris du galon au plan vocal. Son chant est plus assuré, plus riche, plus sensuel aussi. On le sent particulièrement dans Summer Breeze, une chanson en inuktitut au contenu presque sexuel. C'est osé. «Les Inuits sont très pudiques, signale-t-elle, mais si je ne le fais pas, personne ne va le faire...»

De ce côté-ci des haut-parleurs, on se réjouit que la chanteuse inuite ait abandonné l'idée de faire un disque tout en anglais. Il comptera plusieurs chansons en inuktitut et aussi une en français, signée Richard Desjardins/Pierre Lapointe. Sa voix a beau être touchante dans les trois langues qu'elle maîtrise, elle résonne tout particulièrement dans celle, sonore, de sa mère. Et c'est son passeport pour une éventuelle carrière internationale. Vivement septembre.