L'association Paul Piché/boîte à chansons va de soi. Tout le monde a déjà entendu l'une de ses immortelles dans ces bars où l'on va pour faire la fête. Sauf que, dimanche dernier, c'est Piché lui-même qui a chanté Heureux d'un printemps, L'escalier et Mon Joe à La Boîte à Marius. Un rare spectacle solo, qui «fait partie du processus de création» d'un album à paraître à l'automne.

L'époque où les boîtes à chansons étaient des lieux de culture qu'on fréquentait pour écouter des chansonniers est à peu près révolue. Que ce soit Aux yeux bleus à Québec où Aux deux Pierrots, dans le Vieux-Montréal, ce sont des endroits qu'on fréquente pour enfiler les bocks de bière et gueuler les classiques québécois, des lieux au croisement du pub irlandais et du karaoké collectif où l'on va d'abord pour s'amuser.

 

Or, personne n'a chanté debout sur une chaise, dimanche, à La Boîte à Marius. Même qu'il y régnait un calme inhabituel. La petite salle, du côté où se trouve la scène, était pourtant pleine. Seul un petit groupe de spectateurs se permettait de jaser et de chanter fort. Les autres écoutaient respectueusement le chansonnier livrer ses airs les plus connus, osant à peine l'accompagner au refrain.

Ce n'était de toute évidence pas un soir comme les autres. Entendre Paul Piché interpréter lui-même Y'a pas grand-chose dans le ciel à soir, Réjean Pesant et Heureux d'un printemps n'est habituel ni pour La Boîte à Marius ni pour le chanteur lui-même. «La richesse de ça, le privilège pour moi, c'est que je me retrouve vraiment comme au début», a insisté le célèbre chansonnier rencontré un peu avant minuit, après sa prestation.

Paul Piché n'a jamais accepté de faire des spectacles en formule acoustique ou en trio, malgré la demande. «J'ai toujours dit non à ça, dit-il. J'ai Rick Haworth, Pierre Hébert, Mario Légaré et Jean-Sébastien Fournier, ça sonne et c'est ça notre affaire.» Il a même failli dire non quand Ephrem, du tandem Mélange d'anges heureux, qu'il a connu il y a plus de 30 ans dans une boîte à chansons de Québec, lui a lancé l'idée de faire de petits spectacles en solo.

«Mais là, j'avais envie de chanter, parce que je suis en train de faire de nouvelles chansons. Je me suis dit: allons voir, raconte l'auteur de L'escalier. Je suis content, finalement, d'avoir accepté. Je trippe vraiment.»

Silence radio

Paul Piché n'a jamais cessé de faire de la scène - hier encore, il participait au spectacle bénéfice Madagascart, à l'Alizée -, mais il n'a pas publié d'album de nouvelles chansons depuis Le voyage. Depuis 10 ans, donc. Il n'avait jamais laissé s'écouler plus de cinq ou six ans entre deux disques jusqu'ici. «J'ai passé un tour, convient-il. Je pense que j'ai bien fait. Je suis content des chansons que j'ai.»

C'est la faute à la vie, s'il n'a pas fait plus vite. La tournée Le voyage a été longue, ce qui n'est pas favorable à l'éclosion de nouvelles chansons chez un artiste se disant incapable d'écrire «une semaine avant et une semaine après» un spectacle. Il a aussi eu une petite fille. Surtout, il n'a rien voulu forcer.

«Ma façon d'écrire, depuis Sur le chemin des incendies, c'est de laisser l'inspiration venir. Je ne la force pas. Je ne finirai pas une chanson si ce n'est pas vraiment inspiré», expose-t-il. La plupart des huit nouvelles qu'il a interprétées dimanche soir sont en chantier depuis cinq ou six ans.

«Je ne savais pas que ce serait si long», admet le chansonnier. Et sans la série de spectacles acoustiques amorcée à l'automne, ça aurait peut-être été plus long. Paul Piché raconte que cette discrète tournée lui a finalement fait l'effet d'un stimulant. «Après le tout premier show, j'ai tout de suite terminé une autre chanson, assure-t-il. Pour la jouer au spectacle suivant.»

Du rêve et d'engagement

Des mois plus tard, Paul Piché est catégorique: ces spectacles en solo font partie intégrante du processus de création de son nouvel album. Plusieurs des chansons n'ont pas encore de titre officiel, mais la charpente de neuf d'entre elles est presque définitive. Ne reste qu'à les arranger et les enregistrer en studio, ce à quoi il s'affaire depuis lundi.

Que retenir des nouvelles pièces entendues dimanche soir? Elles mêlent vie intime et engagement social, parlent de rêve et de faire des chansons. Paul Piché s'en étonne. Il n'a pas encore de vision d'ensemble de ce qu'il est en train de faire. «Je ne retiens rien, je laisse tout flotter jusqu'à ce que ça s'agrippe tout seul», fait-il valoir.

Ce n'est pas parce qu'il a fait une tournée solo et acoustique qu'on doit s'attendre à un album plus dépouillé, prévient-il. Deux ou trois chansons entendues dimanche, dont l'une s'intitule Les ruisseaux, se tiennent déjà très bien avec un accompagnement minimal. D'autres, on le sent déjà - et Piché aussi, puisqu'il ajoutait spontanément des lignes mélodiques vocales -, grandiront avec l'accompagnement du groupe.

Le lien dans tout ça, c'est l'engagement, qu'il soit social ou amoureux. Les deux à la fois, parfois, comme dans Prisonnier ou gardien (un titre non définitif). Il y a longtemps que Paul Piché veut lier l'intime et le collectif, «comme ce l'est dans la vie».

De son prochain album, il dit aussi qu'il le réalisera lui-même, avec la collaboration de Michel Bélanger (le patron d'Audiogram) et peut-être d'une autre personne qu'il ne veut pas nommer. Son fils Léo (le «ti-gars» Léo de sa chanson Ti-galop), aujourd'hui âgé de 27 ans, a composé avec lui les musiques de trois des chansons nouvelles. «On est très relax tous les deux, on s'entend bien. C'est super naturel», assure le chansonnier.

Avis à ceux qui voudraient voir Paul Piché seul à la guitare: il ne fera que trois ou quatre autres de ces spectacles et, après, c'est fini. «Aussitôt que l'album est sorti, j'arrête ça, tranche-t-il. Je ne partirai pas avec ma guitare.»

Où et quand se produira-t-il? Mystère. Aucun spectacle n'est affiché dans la section réservée à Paul Piché sur le site d'Audiogram. Ni lui ni Mélange d'anges heureux (avec qui il se produit souvent) ne possèdent de site internet fonctionnel ou de page MySpace. Ne reste plus qu'à compter sur la chance pour avoir la chance unique d'entendre Piché chanter J'appelle ou Un château de sable, seul à la guitare.