Cartographe imaginaire du monde des sons, Guillaume Arsenault a concocté un étonnant album à cheval sur les frontières du folk et des esthétiques électroniques. Loin du fouillis audacieux, son Géophonik est d'une beauté presque naturelle.

Une vieille dactylo sur l'épaule, comme s'il s'agissait d'un violon, Guillaume Arsenault dit le texte de sa chanson Mots parleurs. Il tape du pied pour marquer le rythme et mesure chacune de ses syllabes à la manière d'un slammeur. Pour toute musique, le cliquetis des lettres et, à tous les deux ou trois vers, le tintement du chariot. Instant magique où la mécanique rencontre la poésie.

 

Le jeune trentenaire ne joue pas de la dactylo depuis très longtemps. Son vieil appareil lui a été offert par la photographe qui a fait la pochette de son album Géophonik. «Elle me l'a donné en échange de steaks d'orignal, dit-il. La plupart du temps, quand je viens à Montréal, je remplis une glacière de viande. Ça fait exotique, ici.»

Guillaume Arsenault est gaspésien, sauf que ça ne s'entend pas vraiment. Il vit à Bonaventure, là où il est né. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'a jamais eu la bougeotte: deux années durant, entre 18 et 20 ans, il a fait le tour des États-Unis et du Canada, sur le pouce, vivant de jobines quand c'était nécessaire. «J'avais envie de voir ma maison. Pour moi, la planète était ma maison», répond-il pour justifier ces deux années passées à bourlinguer.

Il a fait un bout de chemin en Westfalia avec une Américaine qui n'avait pas de permis de conduire, un skinhead défroqué et une autre fille poquée rencontrés au Wisconsin. Arrivé au Nouveau-Mexique, il est monté dans la voiture d'un vieux Louisianais qui écoutait de la musique en français et qui l'a emmené dans une réserve Navajo. Guillaume Arsenault aimerait écrire un livre. Juste avec ces deux aventures, il a de quoi faire un roman.

Ce n'est pas seulement pour voir du pays qu'il est parti sur la route, mais aussi pour voir les gens, pour «faire des liens dans le portrait universel». Et le voilà qui tente d'expliquer, le plus clairement possible, sa fascination pour les manières d'être et de s'exprimer qu'on trouve dans différentes cultures. Ces traits, ces tics, ces détails qui font qu'une personne croisée au bout du monde peut rappeler quelqu'un de familier.

Tisser des liens

Géophonik s'affaire aussi à tisser des liens. Entre l'urbain et le rural, le folk et les musiques électroniques, les sons aériens et le bruit des choses vivantes. Du «folktronica», pour reprendre l'étiquette accolée à des artistes aussi divers que Juana Molina et The Notwist. Guillaume Arsenault se réclame pour sa part du groupe britannique Tunng et du hip-folk de Buck 65.

Ses chansons, folk à la base, fourmillent de sons éclectiques (modem, jouets d'enfants, dactylo, etc.) et empruntent des éléments au jazz, tout en s'inspirant de l'esthétique des musiques électroniques. Touffu? Très. Étonnamment digeste, aussi. «J'adore la musique expérimentale, mais pourquoi rester dans le chaotique?» demande l'auteur-compositeur.

Il aime les mélodies, alors il s'efforce d'en composer de jolies. Il aime aussi les rythmes et ne refuse pas de laisser aller une chanson plus «facile» ici et là. «On ne peut pas manger du pain multigrain tout le temps, on a besoin d'un hot-dog une fois de temps en temps», juge-t-il.

Il ne ménage pas la chèvre et le chou, il a seulement réussi - avec la collaboration précieuse du réalisateur Erik West-Millette - à trouver des points de rencontre entre son penchant pour les esthétiques sonores et la part d'instinct nécessaire pour concocter une chanson touchante. Il possède de plus une plume assez habile pour servir de liant à cette étonnante mixture.

Guillaume Arsenault l'admet d'emblée: c'est par les mots qu'il est venu à la chanson. «Encore aujourd'hui, quand j'écoute un album, je porte d'abord attention aux textes, avoue-t-il. Des fois, je lis même le livret avant d'écouter le disque.» Alors il s'efforce, dans ses chansons, de mettre de la viande autour de l'os. Avec une juste dose de jeux de mots, de simplicité et de trouvailles poétiques: «J'avance, je regarde en avant/Le coffre rempli de valises/Même si le vécu paraît plus grand/Dans le miroir que dans le pare-brise» (Bonheur intermittent).

Point de cynisme chez cet auteur. Point de défaitisme chez ce jeune Gaspésien désireux de voir son coin de pays dynamisé. «Le solde migratoire chez les 18-35 ans est positif, les gens reviennent», signale-t-il. Le plus difficile pour ces jeunes adultes, selon lui, est de trouver le temps pour «donner une direction» à la Gaspésie alors que chacun s'occupe de ses jeunes enfants. Mais il reste optimiste. «C'est un moment où tout est possible.»