Ils viennent tous deux d'avoir leur anniversaire, il y a quelques semaines: Mario Pelchat a eu 45 ans, Michel Legrand, 77. L'interprète-producteur québécois et le compositeur-pianiste français sont réunis sur un étonnant album mi-ballade à grand déploiement, mi-jazz, Mario Pelchat - Michel Legrand, où le premier interprète les chansons à grand succès et de belles méconnues du second qui, lui, l'accompagne au piano. Ils entreprendront ensemble une longue tournée, au Québec et en Europe.

«Je ne suis pas un touche-à-tout, lance Michel Legrand avec ferveur en entrevue. Je m'empare de tout! Je ne veux faire carrière en rien, je veux exister en tout!» À 77 ans, Legrand a toujours les doigts aussi vifs sur le clavier et le bon mot à la bouche. Et il dit vrai: orchestrateur de talent, compositeur de plus de 200 musiques de films européens et américains dont Les parapluies de Cherbourg, Les uns et les autres, Summer of 42, Yentl ou... La flûte à six Schtroumpfs, compositeur tout court, également chanteur, chef d'orchestre, producteur, jazzman mais aussi pianiste classique, il a aussi bien travaillé avec Dizzie Gillespie et Miles Davis que son ami Claude Nougaro (c'est Legrand qui l'a même convaincu de chanter), Björk, Barbra Streisand... Et chaque fois, il se lance tête première: «C'est parce qu'on est sublime quand on est débutant, explique-t-il. Il faut donc se mettre dans la situation de se sentir débutant, donner soudain un coup de volant pour changer de voie. Ça n'a l'air de rien, mais c'est courageux. Et c'est ce que fait Mario.»

 

Le Mario en question, c'est bien sûr Mario Pelchat, qui participe à l'entrevue en souriant, encore un brin étonné que Legrand travaille avec lui. C'est à la suggestion de son gérant Lionel Lavault que Pelchat a écouté un montage de cinq, six heures de chansons de Legrand. Comme bien des gens, il connaît Les moulins de mon coeur, et Un parfum de fin du monde (la belle chanson du film Les uns et les autres), mais il a aussi découvert de petits trésors comme Rupture, Un ami s'en est allé ou L'addition. Après avoir écouté de son côté des albums de Pelchat, Legrand accepte de rencontrer le chanteur à la belle voix, et de fil en aiguille, le projet voit le jour. Un projet dans lequel arrangements pour grand orchestre ou pour trio jazz se côtoient... et dans lequel Mario Pelchat a accepté de se lancer, alors que ce n'était pas exactement dans sa zone de confort.

Un exemple? Enregistrer sa voix en même temps que la musique, en présence de tous les musiciens et de Legrand au piano, comme cela se faisait jusque dans les années 60, 70 - alors que, de nos jours, on privilégie plutôt l'enregistrement successif de tous les instruments, y compris les cordes vocales! «Je me suis laissé guider par ce que j'entendais, ce que les musiciens m'inspiraient, explique-t-il, en regardant Michel dans les yeux.» «Un tel album, c'est un concerto pour voix humaine et orchestre, enchaîne Legrand, et c'est le soliste, le chanteur, qui nous mène à jouer de telle façon. En fait, la musique, c'est comme l'amour, ça se fait à plusieurs!» lance le toujours vert compositeur en riant. «Au moins à deux, en tout cas», rétorque Pelchat, hilare.

Autre expérience toute neuve pour l'interprète québécois: le jazz. «J'avoue que c'est ce qui me terrorisait le plus, dit Mario Pelchat. On a donc enregistré d'abord une ballade de Michel - je crois que c'était Les moulins de mon coeur - et je me suis tout de suite après lancé dans l'enregistrement de Brûle pas tes doigts.» Accompagné seulement de Legrand au piano, d'un batteur et d'un contrebassiste, Pelchat, il faut le reconnaître, s'en tire vraiment bien. Pour les ballades plus pop, le compositeur a dirigé le chanteur afin qu'il respecte même la façon de chanter, la prosodie particulière de Legrand, avec des notes tenues très longtemps, par exemple: «Parce que je crois que cela fait aussi partie de mon style», explique Michel Legrand, qui interprète également un duo avec Pelchat sur l'album. Un disque tout francophone, à l'exception d'une chanson (How Do You Keep The Music Playing?, en duo avec Dionne Warwick) afin de constituer en quelque sorte un «beau songbook en français» (dixit Lionel Lavault) de l'oeuvre de Legrand. C'est également Legrand qui réalise et arrange le disque (une première avec un chanteur francophone, pour lui), tout en se révélant un pianiste toujours aussi doué sur les 15 morceaux.

À compter du 9 avril, le chanteur et le pianiste entreprendront une tournée du Québec (infos sur le site www.mariopelchat.com), accompagnés par trois musiciens. «J'avais envie d'un projet un peu différent, conclut Mario Pelchat, je voulais chanter de grandes chansons qui ont fait leurs preuves, faire un disque moins temporel. Et je crois que dans cette période un peu inquiétante que nous traversons, nous avons tous besoin de revenir à des certitudes, à des chansons qui réconfortent...»