Groupe emblématique des années 80, Indochine poursuit une carrière hors norme. Brocardé à ses débuts pour son romantisme noir adolescent et sa new wave dansante, le groupe de Nicola Sirkis s'impose aujourd'hui comme une formation phare, voire culte, de la scène rock française depuis son retour spectaculaire en 2002, avec l'album Paradize (plus d'un million d'albums vendus). Un succès confirmé trois ans plus tard avec le double album Alice & June. Indochine signe aujourd'hui son retour avec La République des Meteors, un disque sur le thème de la rupture, avec en toile de fond le destin de poilus de la Première Guerre mondiale (abordé dans six chansons). Un disque généreux (16 titres) aux climats variés entre rock saturé, touches électroniques, ambiances de fanfares et comptines enfantines. Rencontre à Paris avec Nicola Sirkis, unique rescapé de l'épopée Indochine.

Q: Vous semblez avoir apporté un soin particulier à la pochette de l'album, gorgée de références culturelles, scientifiques, historiques

R: Il y a une référence notoire à Sgt Peppers. Je voulais présenter un patchwork de toutes nos influences. Sur la pochette, on voit Patti Smith, David Bowie, un zeppelin en hommage à Led Zeppelin. On aurait aussi pu mettre aussi Brian Ferry, les Sparks, Sid Vicious, Joe Strummer Et puis, il y a toutes nos références littéraires: Salinger, Simone de Beauvoir, Apollinaire, Rimbaud et Marguerite Duras, qui nous a inspiré le nom d'Indochine. Des personnalités scientifiques aussi, comme Freud, Pierre et Marie Curie. Toutes ces figures, c'est un peu la république d'Indochine. Pour le meilleur et le pire, avec des dictateurs comme Staline D'où le titre La République des Meteors. Toutes ces personnalités ont, chacune à leur niveau, marqué notre époque.

Q: Comment avez-vous travaillé sur cet album?

R Après Alice&June, un album violemment romantique et joyeusement pornographique, on voulait un album bouleversant. Quand j'enregistre un disque, je choisis toujours une idée centrale et directrice. Là, j'étais en panne d'inspiration. Après notre dernière tournée, j'avais le cerveau lessivé. En septembre 2007, nous sommes entrés en studio totalement vierges, sans la moindre piste. Ce fut paradoxalement libérateur. Musicalement, nous avons travaillé sans pression, nous avons tenté, expérimenté pour élargir la palette des ambiances musicales. Moi, je voulais trouver la mélodie ultime. Je la cherche toujours d'ailleurs. Et puis, au fur et à mesure, le thème de l'album s'est imposé

Q: De quelle façon?

R: À la Biennale de Venise, j'ai été fasciné par l'exposition de l'artiste contemporaine Sophie Calle. Elle avait demandé à une centaine de femmes de toutes professions de lire, chacune à sa façon, une lettre de rupture que lui avait envoyée un ancien amant. Du coup, j'ai eu envie d'aborder les thèmes de la rupture, le sentiment d'addiction face à l'absence de l'être aimé, ses conséquences sur la psyché de chacun, comment on se reconstruit dans la solitude...Travailler sur cette thématique m'a intéressé, d'autant qu'elle trouvait des résonnances dans ma vie personnelle. Mais je ne voulais pas mettre mes propres malheurs dans ce disque. Par la suite, je suis tombé sur des lettres poignantes de jeunes soldats de la Première Guerre mondiale. Notamment la lettre d'un poilu, Ernest Lauzanne, mort en 1917, à 22 ans. Il écrivait à son fils pour lui dire qu'il ne reviendrait pas du front et que lui, son fiston, deviendrait, de fait, le chef de la famille. Ça m'a bouleversé. J'en ai fait une chanson, La lettre de métal. J'ai choisi de mettre en musique ces situations tragiques, elles illustrent parfaitement le thème de la rupture et le fait que nous ne sommes pas tous maîtres de notre destin.

Q: Rupture sentimentale, guerre, mort... Malgré ces thèmes lourds, l'album n'est jamais plombant ni déprimant.

R: Heureusement. À part La lettre de métal, je trouve même le disque plutôt joyeux et je le chante tous les jours avec ma fille. Elle ne se rend peut-être pas compte de la portée des chansons. Mais il s'agit d'un disque super ludique. Nous avons pris soin de varier les ambiances musicales. C'était indispensable pour rendre ce disque assez long digeste. Seize titres, c'est beaucoup. Moi, je veux que les gens l'écoutent du début à la fin sans s'arrêter. J'ai aimé jouer sur les contrastes entre les thèmes et les ambiances musicales. Union War, elle est plutôt joyeuse, entraînante. Pourtant, elle raconte la guerre, les tranchées, la mort inéluctable. Sans sombrer dans l'angélisme, je ne cherche pas à tirer les gens vers le bas. D'une chose négative, il faut toujours en tirer du positif.

Q: C'est un peu l'histoire d'indochine

R: Indochine a connu deux carrières et trois époques. La première période avec Dominique Nicolas, le compositeur unique d'Indochine et un magnifique mélodiste.À son départ en 1994, on ne donnait pas cher de notre peau. Mais on a décidé de poursuivre l'aventure avec mon frère jumeau, Stéphane. C'est la deuxième période Indochine jusqu'à sa disparition brutale, il y a dix ans, d'une hépatite foudroyante. La troisième période, enfin, celle du come-back d'Indochine, avec Oli De Sat, un fan devenu le compositeur sur les trois derniers albums. Tous ces départs, ces accidents et malheurs qui ont ponctué la vie d'Indochine ont aussi permis de régénérer ce groupe. C'est une belle leçon de vie.

Q: Vous êtes le seul groupe français des années 80 toujours en activité. comment vous expliquez votre longévité ?

R Je l'ignore... Cela reste un grand mystère. Notre plus grande fierté est d'avoir renouvelé notre public. En concert, nous cumulons aujourd'hui trois générations de fans. Les petits devant et les grands derrière ! On ne se tourne jamais vers le passé, toujours vers le futur. Certaines chansons, je le dis sans prétention, sont devenues un peu intemporelles avec des thèmes récurrents. La chanson Troisième sexe, elle parlera toujours à des jeunes de 14 ans. J'ai parfois l'impression d'écrire toujours la même chanson, mais à des époques différentes et avec des mots différents (rires).

Q: Quel artiste vous a donné le déclic pour devenir chanteur ?

R J'ai eu deux déclics. Mon père nous avait emmenés voir Woodstock en 1972. Un choc, c'est là que j'ai vu ma première femme nue. J'avais 10 ans et j'ai eu du mal à m'en remettre. Entendre Country Joe and The Fish hurler « Fuck Vietnam « fut une révélation. Je me suis dit : «Merde, c'est pas mal d'être adulé par 50 000 hippies et de hurler sa révolte. J'ai envie de faire ça.» Mais le gros déclic, c'est Patti Smith. À l'école, tout le monde écoutait Yes, Genesis, Supertramp ou de la chanson française ringarde. Seul Higelin sortait du lot. Et Patti Smith surgit avec Horses, un album extraordinaire, avec son ambiguïté sexuelle et c'est le choc. Je m'habillais comme elle, j'avais les cheveux longs comme elle, la même écharpe, le petit cheval qu'elle avait sur la veste.

Q: le premier concert d' indochine, vous vous en souvenez?

R: Oui, comme si c'était hier ! Le 29 septembre 1981 au Rose Bonbon, en dessous de l'Olympia. C'était la boîte rock de la nouvelle scène française : Taxi Girl, Les Rita Mitsouko C'était un peu notre CBJB à nous. Je venais de me faire réformer de l'armée. Nous étions dans l'inconscience totale. Je ne savais pas jouer de musique, je ne savais pas chanter et pourtant, on a joué 25 minutes montre en main. Notamment des morceaux forts comme Dissidence politique. On sortait du punk, mais nous, on voulait faire du punk dansant, tendance cold wave, faire danser les gens sur des paroles pas débiles. À l'époque, nous étions trois, un peu comme Depeche Mode. On enchaînait les morceaux avec une froideur incroyable. Sans parler, sans dire merci, c'était assez hautain. Mais on a décroché un rappel, une chose rarissime à l'époque. Dix minutes après, les directeurs artistiques de maisons de disques se bousculaient dans nos loges pour nous signer. Ils nous demandaient juste de changer de nom. Indochine, ça ne sonnait pas.

Q: Vous avez longtemps été dénigré par une certaine presse qui vous prédisait une carrière de météore

R: Au stade où on en est, je m'en fous. Il y aura toujours de quoi dénigrer ce groupe. Et puis en France, on ne pardonne pas l'insuccès, encore moins le succès. Donc tout est dit. Dans les années 90, nous avons connu une grosse traversée du désert, plus de maison de disques, plus aucune radio ne nous diffusait, les médias nous ignoraient . Mais on continuait à remplir des salles, ça me suffisait. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais songé à jeter l'éponge.

Q: Vous aurez 50 ans au mois de juin, mais vous avez gardé votre allure d'éternel Peter Pan. Le rock, c'est une cure de jouvence ?

R: J'ai lu la biographie de Ron Wood. Il a 60 ans, on dirait un gamin, il s'amuse d'un rien, il déconne tout le temps. Tout est dans la tête. Mick Jagger a dit : «Faire du rock permet de rester un adolescent éternel. « Sur ce point, il a raison. Même si on subit des accidents de vie Même si toute l'histoire du rock est jalonnée de types détruits par les drogues. Et puis il y a des survivants. Lemmy de Motörhead Comment t'expliques? Idem pour Keith Richards ou Iggy Pop Personnellement, je n'ai pas fait trop d'abus. Niveau drogue, j'ai tout essayé avec gourmandise entre 17 et 18 ans. J'en suis vite revenu. Mais au-delà du rock, seule la passion conserve.