Mariza a été élevée dans Mouraria, vieux quartier de Lisbonne qui a donné naissance au fado. Après s'être imposée comme la plus célèbre porteuse de cette tradition musicale au XXIe siècle, elle revendique désormais l'étiquette de «chanteuse portugaise» au sens large. «Le fado que je fais me ressemble, dit-elle. Il porte mes pensées et ma vision de la musique.»

On a eu droit à un avant-goût du printemps ces derniers jours. Du temps anormalement doux, mais encore beaucoup trop froid pour une chanteuse habituée aux hivers cléments de Lisbonne. Mariza se disait «frigorifiée», lorsqu'on l'a jointe mardi à New York. Elle devra s'y faire puisqu'elle passera l'essentiel des prochaines semaines dans le nord-est de l'Amérique.

 

Mariza a entrepris hier à Toronto sa plus longue tournée à vie: trois mois de concerts à travers les États-Unis, avec des escales à Montréal (demain) et Québec (mardi). «Je n'ai jamais fait une aussi longue tournée en Europe, alors je suis un peu effrayée, un peu nerveuse, mais j'ai de grandes attentes et j'aborde ça avec enthousiasme», expose la chanteuse née au Mozambique d'un père blanc et d'une mère noire.

L'envergure de cette tournée nord-américaine n'est qu'un jalon de plus dans une carrière déjà exceptionnelle. Depuis la parution de son premier album, Fado Em Mim, en 2001, Mariza s'est imposée comme l'une des plus importantes interprètes de fado des 20 dernières années, au Portugal comme à l'étranger. Son Concerto Em Lisboa, concert en plein air qui a fait l'objet d'un DVD en 2007, aurait eu lieu devant une foule de 25 000 personnes, soit au moins deux fois plus que ce qu'elle appelle un «auditoire normal» pour le fado dans son pays.

Son fado à elle

À ses débuts, au tournant de l'an 2000, Mariza n'a pas échappé aux inévitables comparaisons avec la matriarche du fado, Amália Rodrigues. Sa façon d'aborder cette musique mélancolique aux origines incertaines - on lui prête des influences maures ou brésiliennes - a toutefois vite évolué. L'interprète a trouvé sa propre voie, multipliant les collaborations avec des musiciens portugais, brésiliens et même espagnols ou américains.

Terra, son plus récent album, a été réalisé par Javier Limón, spécialiste du flamenco derrière le projet Bebo&Cigala et collaborateur de l'actrice Victoria Abril. Chucho Valdés est au piano pour Fronteira, le Capverdien Tito Paris partage son micro sur Beijo de Saudade, tout comme la chanteuse Concha Buika (née à Majorque, mais d'origine guinéenne) sur Pequenas Verdades. Des collaborations qui illustrent sa vie ces dernières années, faite de voyages, de découvertes et de rencontres.

«Tout ça m'a influencée en tant que chanteuse, en tant que femme et en tant que personne. Il aurait été malhonnête de ne pas en faire état sur disque parce que j'avais tout ça en tête», estime-t-elle. Mariza ne renie pas le fado, mais elle cherche clairement à s'en distancier. Elle revendique désormais sa propre vision de la musique. «Le fado sera toujours présent dans ma voix. J'en respecte toujours l'esprit et les racines que j'ai découverts étant enfant, mais je pense que les gens ne viennent pas assister à un concert de fado quand ils viennent me voir, ils viennent entendre une chanteuse portugaise.». La nuance semble capitale pour elle.

«Le fado que je fais me ressemble, insiste Mariza. Il est tributaire de ma personnalité, de mes pensées et de ma propre vision de la musique.» Son terroir musical, selon Terra, embrasse désormais le jazz. À travers la trompette du Cubain Carlos Sarduy, notamment. Les étiquettes accolées aux genres, tout comme le nom du pays qui figure sur le passeport de ses collaborateurs, importent peu à la chanteuse. «On parle de musique, fait valoir la chanteuse. Chaque musique à ses racines, mais ça demeure avant tout de la musique.»

Tout pour la musique

Mariza est intarissable lorsqu'elle aborde le pouvoir rassembleur de la musique. «Je chante à Singapour, je chante en Corée et en Amérique du Nord. Les gens ne comprennent pas ma langue, mais ils viennent à mes concerts et ils saisissent le message que je porte. Ou ils essaient de le comprendre. C'est ça l'idée. La musique n'a pas de frontières et elle a le pouvoir de connecter les gens.»

Éblouie par cette forme de communication, la chanteuse raconte avoir récemment attiré l'attention de ses fans sur ce sujet. «J'ai demandé aux gens s'ils connaissaient la personne qui était assise près d'eux. Souvent, la réponse est non. Et je leur ai fait remarquer que, malgré tout, pendant une heure et demie, ils étaient intimement connectés à cette personne à travers la musique», s'enthousiasme-t-elle.

On ne s'étonnera guère qu'elle suive la même logique dans le choix de ses collaborateurs. De Javier Limón, elle dit qu'ils étaient «sur la même longueur d'onde» et qu'il était la «bonne personne» pour l'aider à faire ce disque. «L'idée n'était pas de faire un album qui soit commercial ou quoi que ce soit», précise-t-elle d'emblée.

Mariza place clairement la musique au sommet de ses priorités. «Elle réclame un engagement total, juge-t-elle. Faire de la musique, pour moi, c'est aussi important que de respirer. Avec ces musiciens, c'était la même chose. Ils vivent pour la musique.»

Mariza, demain, 20h, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.