Si on écoute bien les premières mesures de Labyrinthes, troisième album du quatuor québécois Malajube, en magasin mardi, on perçoit bel et bien le bruit d'un objet volant non identifié: vaisseau spatial, soucoupe, fusée? Rien n'est sûr, sinon qu'on entame là un véritable voyage musical avec le groupe québécois francophone le plus encensé chez nos voisins du Sud et le plus attendu ici par les amateurs de rock du XXIe siècle.

On peut s'attendre à tout d'une entrevue avec les gars de Malajube. Mais certainement pas à passer plusieurs minutes à parler du disque... Rendez-vous doux de Gerry Boulet (lancé en 1988!). C'est que le batteur Francis Mineau, en attendant l'entrevue, a acheté de bonnes vieilles cassettes: il les fera jouer dans la camionnette pendant la tournée que le groupe entreprend le 17 février, et qui mènera le quatuor de Montréal à Chicoutimi, d'Ottawa à Joliette, dans de petites salles, loin des bars et des projecteurs internationaux.

Pour la petite histoire, précisons que Francis a également acheté Dookie de Green Day («Hey, même dans mon village, Saint-Hugues, le monde écoutait Green Day!») et... une trame sonore pour l'Halloween, avec hurlements de fantômes. «Wow, que des grands classiques», lance en riant le claviériste Thomas Augustin. «Ben pourquoi pas, on est... toujours vivant, non?» répond Francis, le sourire étampé dans la face. «J'ai tellement hâte d'écouter Angela dans la van», s'écrie Thomas avec un brin d'ironie. «Hey, as-tu remarqué, c'est écrit Face F, Face M sur la cassette au lieu de Face A, Face B. Pourquoi?» F, c'est pour Françoise, la femme de Gerry, confirme la journaliste, et M, c'est pour sa fille, Marianne. «F et M, ça pourrait aussi être Francis et Mathieu!»

On rigole, mais il y a un fond de vérité. Le nouvel album Labyrinthes est dédié au père du bassiste Mathieu Cournoyer, Denis Cournoyer, décédé cette année. Or, la mort, la maladie, le cancer, l'alzheimer, la douleur, l'au-delà sont très présents sur ce troisième disque: «C'est pas un hasard, c'est dans l'air, explique Thomas. On a eu, chacun, beaucoup de maladie et de mort dans nos familles. Comme c'est le cas pour tout le monde.»

On fera ici un aparté: les décès et la maladie chez les proches étaient aussi le fil conducteur de Funeral, premier album d'Arcade Fire ou du plus récent disque de The Besnard Lakes, eux aussi groupes de Montréal...

Fin de l'aparté, revenons plutôt à Labyrinthes et à sa magnifique pochette d'un violet soutenu - tiens, la couleur des vêtements dont se revêtent les prêtres pour célébrer la messe des morts... «Mais attends de voir la pochette du vinyle, dit Francis, elle va être glow in the dark, vert phosphorescent. Tu vois, on revient encore à la cassette d'Halloween! Notre pochette me fait surtout penser aux labyrinthes et aux personnages qui essayaient de me manger dans mes vieux jeux vidéo.» Des sons tirés de l'univers des jeux, on en perçoit d'ailleurs sur l'album. «Il y a quelque chose d'épique, je dirais, dans nos chansons, explique Thomas, sans doute en partie à cause des jeux vidéo. Un peu comme dans Cristobald (seule instrumentale du disque). On a gardé seulement celle-là, on en avait une autre, mais vraiment trop épique.» «En fait, c'est un morceau qu'on avait composé pour Infoman, assez pop, dit en riant Francis. Mais finalement, nous, on en a gardé juste le riff et on est resté du côté obscur de l'affaire!»

Obscur et parfois angoissant, comme la chanson Porté disparu: «Elle est drivée par le piano, dit Thomas, c'est ça qui portait le mieux la chanson, dont les paroles vont de plus en plus vers le confus. C'est le film d'horreur personnel quand on perd son identité.» Le clip de la chanson est en deux parties, comme la chanson, explique Francis: dans la première moitié, c'est des meurtres, dans la seconde, on tue des gens, les gens nous tuent, ça se mêle...»

Oh boy! Pas sûre que CBC2, qui a conçu un disque de chansons représentatives du Canada (dont un morceau de Malajube) pour le remettre au président Barack Obama, lui fera visionner le clip! «Ça nous fait vraiment plaisir d'être sur ce disque, dit Thomas. Même si Francis aurait préféré qu'on laisse notre place à Charlebois.» «Ben, je trouve que ça ne se fait pas, enlever Ordinaire pour mettre Montréal -40...» explique Francis.

Pas ordinaire

«Dans notre précédent disque Trompe-l'oeil (2006), reprend plus sérieusement Thomas, la maladie était déjà pas mal là, c'est un sujet qui inspire Julien (Mineau, chanteur, guitariste et parolier), qui le préoccupe beaucoup. Mais en plus, avec toute la tournée qu'on a faite après (qui les a menés partout, y compris aux États-Unis et en Europe, et leur a valu des critiques dithyrambiques), on s'est vraiment maganés nous-mêmes. Prendre une année de repos, ça a fait du bien. On a pu avoir une vie à Montréal, se retrouver les quatre et se concentrer vraiment sur jouer ensemble.»

En fait, ils ont tellement joué ensemble - hormis quelques shows ici et là, à Montréal (lors des dernières FrancoFolies), à Yellowknife et aux Îles-de-la-Madeleine - qu'ils ont finalement mis au monde des musiques. Que des morceaux instrumentaux. Ils les ont travaillés en salle de répétition, sans aucun musicien invité (contrairement à Trompe-l'oeil). Mais ont dû complètement les transformer une fois en studio, l'automne dernier, notamment en y ajoutant des paroles.

«On avait vraiment la volonté de faire l'album live au début, on a enregistré tout le monde ensemble pour se faire un petit "lit " musical, explique Thomas. Mais on n'a juste pas pu s'empêcher de mettre plein d'autres affaires. Y a des chansons qui sont faites de 100 tracks mêlées ensemble: tu discernes pas la nature de tous les sons, mais tous ces sons donnent des textures à ceux qui les entourent. On a beaucoup, beaucoup travaillé en studio. Même si, à la base, on avait la volonté de faire plus dépouillé. Pis ça a pas marché!»

«Moi, rétorque Francis, je trouve que ça marche : c'était peut-être pas dépouillé, mais je trouve que c'est plus "clair", les sons ont de la place, ils se répondent. Au début, comme c'était des instrumentales, poursuit-il, Julien pouvait jouer de la guitare et du clavier en même temps, par exemple. Mais ensuite, on a rajouté les paroles, les voix, c'est devenu plus difficile. C'est spécial, ce disque. Pour les autres disques, on faisait des tounes, on les jouait en spectacle et on entrait ensuite en studio. Là, c'est le contraire: on a écrit en studio, et on doit apprendre les tounes pour les faire sur scène.»

On pourrait parler de tant de choses à propos de cet album. Par exemple de la très bonne chanson Les collemboles: le collembole est un être microscopique, identifié comme un ordre en soi à partir des années 80, même s'il existe depuis des millénaires et qu'il est répandu sur toute la planète, des forêts tropicales aux abords des glaces polaires. «Je pense pas que Julien a été si loin que ça quand il a décidé d'écrire ce texte, dit Thomas en riant. Mais tant mieux si un collembole, c'est tout ce que tu dis, parce qu'il y a un côté "éternité" dans cette chanson, ça dit que tu vas vivre pour toujours, comme des parents qui parleraient à leur enfant pour le rassurer.»

On pourrait aussi parler du fait que les gars de Malajube ne sont pas particulièrement bavards sur scène: «C'est vrai, dit Francis, mais on n'est pas obligé de parler sur scène ou quand on arrive dans une salle: une fois que j'ai dit bonjour aux techniciens, je ne suis pas obligé de faire la conversation. C'est sûr que le monde aime ça, quand ça parle. Mais aucun de nous n'est à l'aise avec ça, il faudrait qu'on engage quelqu'un pour parler à notre place! En même temps, on est certainement le groupe québécois qui dit le plus merci sur scène. C'est juste ça qu'on dit, c'est vrai. Mais au moins on le dit, merci.»

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