L'auteur, compositeur et interprète Carl-Éric Hudon lancera mardi Contre le tien - Ananas bongo love, son deuxième album solo qui, aux yeux des amateurs de chanson d'ici, pourrait tout aussi bien être son premier tant Ces tempêtes que l'on avale (2005) était demeuré confidentiel.

Il arrive, étui à guitare à l'épaule, la tuque enfoncée jusqu'aux lunettes, dans ce greasy spoon d'un kitsch qui fait mal aux rétines et où il avait lui-même fixé le rendez-vous. «C'était pour aller avec le côté Ananas bongo love du disque», se justifie-t-il.

 

Un choix trompeur. Ce n'est pas qu'on doute de l'affection que porte Carl-Éric Hudon à ces... oeuvres artistiques qui défient le bon goût - le musicien est étudiant en design à Concordia, sait où prendre un café dans des décors inspirants et s'y connaît justement mieux que nous en la matière. C'est plutôt que son album est définitivement plus Contre le tien qu'Ananas bongo love. Plus sérieux que dérisoire.

On s'explique. «Le titre était casé avant que je me penche sur la pochette, dit-il. Je m'imaginais le titre d'un album fictif de Gainsbourg, période Couleur café. J'aime bien m'inspirer de la mythologie autour d'une oeuvre ou d'un personnage.

«Or, le titre va avec la pochette, dans la mesure où je cherchais quelque chose de confrontant - dans le titre, deux sentiments contradictoires.» La pochette, elle, est beaucoup plus représentative de la musique qu'elle contient: s'inspirant du graphisme des maisons d'édition de Minuit et Gallimard, Hudon a pensé («Mais pas réalisé; je n'ai pas de formation de graphiste!») cette pochette comme une jaquette de bouquin, un lettrage bleu sur un fond mat, avec les textes à l'intérieur. Sobre, comme l'atmosphère des chansons. Sérieux, pas bongo du tout.

Et fascinant au possible. Carl-Éric Hudon fait dans la chanson «champ gauche», une pop qui s'apprécie dans le souci d'une rime ou d'une ligne de guitare bien tournée. Quelques traces du country qu'il affectionne (on se souvient de son album collaboratif avec Dany Placard), mais surtout une façon de peindre sa chanson avec des teintes de cabaret, de mélancolie toute française - Hudon lui-même tire des parallèles avec la Nouvelle Vague - enfilée dans une langue québécoise. Une émotion complexe, servie par une image juste assez floue pour que l'auditeur y remplisse lui-même les espaces vides.

«Mon premier album était plus direct, plus adolescent. Plus sincère; j'avais 18-20 ans lorsque j'ai composé les chansons, bon, du genre, je me suis fait tromper, j'ai de la peine, fais pas trop de cocaïne, ce n'est pas bon pour toi... J'étais jeune.»

Sans compromis

À 26 ans, Hudon pond ici un des recueils de chanson les plus singuliers qu'il nous ait été donné d'apprécier depuis longtemps. Un disque pétillant, mais tendu. Le contraste entre les arrangements (de Hudon), la réalisation (de son ami Navet Confit) et ces chansons sérieuses qui, dixit le musicien, ont autant à voir avec ses petits malheurs personnels qu'avec le cinéma de David Lynch ou la réflexion sur l'hyperréalité de Jean Baudrillard.

«Ç'a été difficile de faire ce disque parce que je voulais expliquer plus de choses, plus de sentiments. Même que j'ai du mal à parler des thèmes, parce que c'est comme une impression pour moi...» Carl-Éric Hudon fait une pause. «Je vais reprendre mon souffle.»

Sensible, l'intello de musicien. Le coeur ouvert, fragile, et pourtant plus clair dans ses textes qu'il ne le croit lui-même. «Je voulais évoquer une impression de réalité, une sorte de rêve.» Navet Confit a tout compris: la réalisation est irréprochable, imaginative. Les sons qui s'emmêlent, mais qui ne se choquent pas, la chanson devenue travail d'orfèvre, les guitares discrètes, même lorsque les compositions prennent des allures plus rock. La chanson se termine en nous laissant l'impression de devoir y retourner, pour être sûr d'avoir tout saisi ce qui s'y passait.

«Je n'ai pas voulu diluer mon travail», dit Hudon. Contre le tien - Ananas bongo love est un disque sans compromis, qui profite de la machine GSI Musique pour rejoindre un plus vaste public. En toute justice.