À 84 ans, Charles Aznavour poursuit son grand bonhomme de chemin, avec une tournée l'an prochain, un nouveau livre et, en magasin mardi, un double CD intitulé Duos: le CD 1 comprend 13 de ses chansons en français en duo avec Hallyday, Céline Dion, Julio Iglesias, etc.; le CD 2 compte 15 morceaux en tandem avec Sting, Elton John, Placido Domingo et compagnie, dans leur langue. Bref, 17 invités, cinq langues... et une entrevue menée lors de son passage ici en novembre.

Charles Aznavour surprend toujours par la diversité de ses intérêts: grand lecteur, amateur de cuisine fine, amoureux du vin (il a même un vignoble), il lance qu'il s'apprête à planter des tas d'oliviers dans son domaine: «Vous allez pouvoir boire de mon huile, bientôt», dit-il en riant. L'homme qui plantait des oliviers est tout de même auteur, compositeur et interprète avant tout. En fait, Aznavour est même au nombre des rares Français devenus véritables vedettes internationales à titre d'auteur, compositeur et interprète. Duos témoigne de l'ampleur de son succès.

Duos a bien des particularités: ce sont les duettistes invités qui ont choisi la chanson qu'ils voulaient chanter avec Aznavour. Ce dernier n'a rien eu à voir avec les arrangements («En fait, j'ai refusé une orchestration parce qu'elle ressemblait trop à la mienne»); Elton John et Sting auraient voulu ne chanter qu'en français; il compte trois duos posthumes (Piaf, Sinatra, Dean Martin); le disque a été enregistré sur près de trois ans avec l'aide de trois réalisateurs (Erik Benzi, Phil Ramone et Patrick Shart) dans cinq villes...

«On ne pouvait pas réunir tout le monde en studio en un coup et puis on n'était pas pressés, explique Aznavour. C'était le seul moyen d'enregistrer avec tous ces noms. Si on l'avait fait en 15 jours, on aurait eu des artistes que personne ne connaît ou même qui n'auraient pas été intéressés, pour qui ça n'aurait fait qu'un disque de plus. Tandis que là, les artistes (sur Duos) n'ont pas besoin de ça. Aucun de nous n'a besoin de ça, mais on l'a fait parce que ça nous plaisait, que ça nous amusait.»

Le plus frappant sur ce disque? La force et l'étendue du registre de la voix d'Aznavour: «Les tonalités (sur Duos) sont celles des artistes, insiste-il. Moi, je suis capable de chanter dans toutes les tonalités qu'on veut. Parce que j'ai travaillé ma voix? Non, parce que je ne l'ai pas travaillée, justement (rires). J'aime bien les variétés lyriques. Quand je voyais des chanteurs lyriques, je cherchais toujours à savoir de quelle manière la voix passait, par où elle allait. Un jour, avec Fred Mella, des Compagnons de la chanson, on est allés voir un professeur de chant qui avait 77, 78 ans, il s'appelait Marvini, un ex-ténor italien, avec un foulard autour du cou, toujours une voix merveilleuse (...), pour prendre des cours de chant. Il nous a dit: «Mes enfants, moi, j'arrête, mais je vais vous donner un conseil et je vais vous faire un dessin, et si vous comprenez ça, tout va bien. Si vous ne comprenez pas, vous prendrez des cours toute votre vie.»»

Le ténor explique donc aux deux jeunes hommes d'alors comment fonctionne la voix. «On est sortis de là, Fred et moi, conclut Aznavour, et ni lui ni moi n'avons perdu notre voix, et ni lui ni moi n'avons suivi un seul cours de chant!»

Critique: Bizarre autant qu'étrange

Le double CD Duos est certainement l'un, sinon le plus étrange disque de la carrière de Charles Aznavour. On comprend le chanteur de 84 ans d'avoir eu envie de chanter avec des vedettes de son calibre, c'est-à-dire internationales. On comprend moins le double CD: si vous aimez Aznavour comme chanteur français, le disque de ses duos «internationaux» (surtout en anglais) est agaçant; si vous aimez Aznavour pour ses versions anglaises, le disque des duos en français va vous énerver un brin. Surtout, les arrangements ne sont pas faits en fonction de M. Aznavour, mais plutôt de ses invités.

Or, même avec des orchestrations faites pour eux, Sting, Elton John, Johnny Hallyday, Placido Domingo, Carole King, Bryan Ferry, Paul Anka, etc. ne sont jamais en mesure de s'approprier véritablement la chanson d'Aznavour qu'ils ont choisie puisque ce dernier - et sa voix si singulière - y figure. Et puis disons-le net, ces arrangements manquent souvent d'élégance, pourtant marque de commerce d'Aznavour. Enregistré sur trois ans par plusieurs réalisateurs, ce Duos est un produit hybride, pour ne pas dire un peu bâtard et bizarre...

Un album en outre où les voix ne se mêlent pas toujours très bien (Placido Domingo), où l'idée de chanter en français n'est pas toujours bonne (Elton John et Sting sont vraiment moins convaincants quand ils chantent «hexagonal»), où certains arrangements sont carrément navrants (Nana Mouskouri, Johnny Hallyday...). Deux pensées réconfortantes: a) le plus beau duo, c'est franchement celui, en français, entre Aznavour et Céline Dion (Toi et moi); b) la compilation d'Aznavour Ses plus grands succès (Pour vous au Québec) est toujours en magasin et nettement plus satisfaisante.

** 1/2

Duos

Charles Aznavour


EMI/Fusion III

À écouter: Toi et moi