L'an dernier, à pareille date, on a découvert Paul Potts, le vendeur de téléphones portables devenu star du bel canto. Ces jours-ci, SONY BMG lance, avec tambour et trompettes, le premier album de trois autres vedettes improbables, des prêtres catholiques d'Irlande du Nord. Conversation avec The Priests.

En mai dernier, Eugene O'Hagan, son frère Martin et David Delargy ont eu droit au traitement réservé aux stars de la pop quand ils ont signé leur contrat de disques devant la cathédrale catholique de Westminster, à Londres. Le lendemain, la photo des trois prêtres quadragénaires était dans la plupart des journaux anglais et irlandais, qui parlaient d'un contrat de plus d'un million de livres.«La somme a augmenté considérablement au fil des semaines dans les journaux: ce n'était plus un million de livres, mais 1,4 ou même deux millions, raconte le père Martin. Sony a investi de l'argent pour qu'on puisse produire le meilleur album possible et elle voudra évidemment récupérer sa mise, ce qui est de bonne guerre. Si l'album rapporte de l'argent, nous en donnerons l'essentiel à des oeuvres de charité.»

J'ai joint les trois prêtres à New York, où ils sont de passage pour la promotion de leur album. Trois hommes qui rient de bon coeur et qui répondent à mes questions avec enthousiasme et juste ce qu'il faut de prudence.

Leur histoire a tout du conte de fées. Un chanteur populaire irlandais leur fait enregistrer une maquette pour Sony BMG qui cherche des prêtres pour chanter une messe en latin. Non seulement décide-t-on de leur faire enregistrer leur propre album, mais on les confie aux bons soins du réalisateur Mike Hedges qui a travaillé avec U2, Dido et le groupe gallois Manic Street Preachers.

Surpris, les trois prêtres n'ont pas hésité longtemps avant de plonger dans l'aventure, mais ils ont pris le temps de réfléchir à l'impact que leur nouvelle carrière aurait sur leur ministère et leurs paroisses. «Nous avons senti que c'était une occasion providentielle dans un domaine que nous ne connaissions pas très bien, dit le père Martin. Mais dès le début, nous nous sommes sentis respectés et appuyés.»

Un contrat pas comme les autres

Les frères O'Hagan (ténors) et David Delargy (basse/baryton) ont toujours chanté ensemble, à l'école secondaire et à l'Université Queens de Belfast aussi bien qu'à Rome, où ils ont suivi leur formation il y a une vingtaine d'années. Pénurie de vocations oblige, on a confié à chacun la responsabilité de deux paroisses dans le même diocèse d'Irlande-du-Nord. Le père David a même fait retarder la tournée de promotion de The Priests parce qu'il était retenu à l'église pour des funérailles.

«Dans le contrat, nous avons fait ajouter des clauses pour que nos responsabilités de prêtres ne soient pas compromises de quelque façon que ce soit, explique-t-il. Notre évêque tenait d'ailleurs à s'assurer que nous soyons capables de remplir nos obligations dans notre diocèse. Ce n'est pas le genre de contrat que Sony signe avec d'autres groupes ou artistes...»

Pas question pour le moment d'une «tournée» de concerts, même si rien n'est exclu.

«Nous n'avons pas de boule de cristal, dit le père Eugene en étouffant un rire. Je suppose que ça va beaucoup dépendre des ventes du CD... Au départ, on pensait qu'il serait uniquement distribué au Royaume-Uni mais, très rapidement, les États-Unis ont témoigné de l'intérêt et on nous a parlé de 32 pays. C'est pour ça que nous ne chantons pas uniquement en anglais.» En effet, des airs religieux bien connus (Panis Angelicus, l'Ave Maria de Schubert) y côtoient des prières irlandaises et espagnoles, du Haydn et du Sibelius, ainsi que le cantique O Holy Night qu'ils ont enregistré en français (Minuit, chrétiens) pour le pays du président Sarkozy.

Leur contrat de disque a aussi ceci de particulier qu'il stipule que les trois prêtres ne peuvent être associés à quoi que ce soit de contraire aux positions de l'Église, sur l'avortement ou la contraception par exemple. «Il y a évidemment des questions controversées, mais nous n'avons pas le mandat de régler tous les problèmes, dit le père Eugene. Toutefois, nous représentons, directement ou indirectement, les positions de l'Église sur ces questions et ce serait très inapproprié pour nous d'avoir l'air de cautionner des positions contraires, même si je ne vois pas dans quelles circonstances cela pourrait se produire.»

«Nous croyons tous les trois que l'occasion providentielle qui nous est offerte est un prolongement de notre ministère, reprend le père Martin. Nous avons toujours aimé la musique et l'avons intégrée dans la prêtrise, mais aujourd'hui c'est rendu à un autre niveau. La musique vient du coeur, elle parle au coeur, et nous espérons évidemment que cette musique sacrée touchera ceux qui ont la foi. Mais la musique ne connaît pas de frontières et nous espérons aussi qu'elle saura toucher ceux qui ne croient pas ou dont la foi est vacillante.»