Parmi tous les albums de musique pop parus jusqu'à maintenant en 2008, 10 se sont vus attribuer une cote de quatre étoiles par les critiques de La Presse. Voici la liste:

1- I Know You're Married But I've Got Feelings Too, Martha Wainwright

Le premier album était plus artisanal, réalisé avec moins de moyens, plus prometteur. Cette fois, Martha Wainwright a pu compter sur un budget substantiel et ainsi atteindre définitivement les ligues majeures de la pop culture. Les réputés producteurs suédois Tore Johanssen et Martin Terefe se sont joints à son mari, le bassiste Brad Albetta, qui réalise la majorité des titres - maman Kate, elle, signe en studio la reprise de Pink Floyd, See Emily Play. Alors? Tout est meilleur qu'avant pour Martha Wainwright: l'assurance du ton, la singularité et la puissance de la voix, l'étendue du spectre émotionnel, la rigueur de l'écriture de cette douzaine de chansons originales, le choix des «standards» (joli travail sur Love Is A Stranger des Eurythmics), les invités prestigieux (Pete Townsend, Donald Fagen, Rufus). Et, surtout, ce quelque chose dans l'expression qui fait la différence entre un folk rock efficace et un folk rock transcendé. Rien de cette musique, en fait, ne mène à un constat d'innovation ou de quelque révolution sonore. Tout de cette musique, cependant, porte à conclure que le classicisme folk rock, aromatisé de rock indie et autres références sûres, sied à Martha Wainwright. Définitivement elle-même. (Alain Brunet)

À écouter: Jimi

Martha Wainwright

I Know You're Married But I've Got Feelings Too

Maple Music

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2-Un Dia, Juana Molina

Cinquième album de la comédienne-musicienne originaire d'Argentine Juana Molina, qui a le don de transformer chacune de ses compositions en objet de contemplation. Cette fois cependant, Un Dia décolle rapidement, en comparaison des formes rêvasseuses qui caractérisaient ses douces chansons. Sa voix particulière nous accueille dès les premières secondes, puis se glisse un rythme entêtant, inouï auparavant dans son oeuvre. Ses arrangements folk électroniques semblent moins faits de dentelle; cette fois, la rythmique, soutenue mais étouffée, s'impose de manière évidente sur les huit chansons. Distillées en de longs grooves suavement construits autour de légères percussions et de la superposition des pistes vocales, ces nouvelles compositions exposent une artiste prête à prendre des risques sur le plan des structures, tout en approfondissant sa recherche aux plans des sonorités, des textures sonores, de la prise de son. Toujours aussi personnelle, l'artiste, qui fait à peu près tout sur ce disque (hormis quelques pistes de guitares), surprend en injectant du tonus à sa musique. (Philippe Renaud, collaboration spéciale)

À écouter: Vive Solo

Juana Molina

Un Dia

Domino/Outside

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3- Storyteller, Nicola Ciccone

Tous ceux qui ont écouté le cinquième album de Nicola Ciccone, tout en anglais (plus deux chansons en italien), ont évoqué tour à tour Elton John, Chris de Burgh, John Cougar Mellencamp, Bryan Adams, James Blunt... Ce que cela signifie? Que Nicola Ciccone a le même don qu'Elton John pour composer des mélodies accrocheuses, à la fois simples et riches. Le même don que Chris de Burgh pour écrire des chansons qui vont toucher les femmes - et leurs hommes. Le même don que Mellencamp pour concevoir des chansons qui traitent de la vie quotidienne et de courage face à l'adversité. Le même don que Bryan Adams pour composer des chansons soft rock qui vont plaire aux radios tout en étant de très bonne qualité. Et un timbre de voix qui s'apparente à celui de James Blunt - en fait, c'est le contraire: James Blunt a un timbre comme Ciccone, ce dernier ayant débuté dans le métier avant Blunt. Et que conclure de toutes ces comparaisons? Que Ciccone a l'incroyable particularité de combiner tous ces dons, auxquels il ajoute la capacité de chanter délicieusement en italien, ce qu'aucun des susmentionnés n'est en mesure de faire.! Congratulazioni! (Marie-Christine Blais)

À écouter: Jack Daniels&Me

Nicola Ciccone

Storyteller

Matita/Select

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4-Youth Novels, Lykke Li

Un nom aussi étrange que Lykke Li ne peut faire autrement que d'attirer l'attention. Alors on prête l'oreille à son premier album, joliment intitulé Youth Novels. Là, c'est sa voix de femme-enfant qui captive pensez à Alison Shaw de Cranes et un peu à Vanessa Paradis. Lykke Li vient de Suède. Sa pop regorge de jolie mélodies et est truffée de refrains accrocheurs. Youth Novels (titre tout indiqué puisqu'elle n'a que 22 ans) possède cette fraîcheur rare de la nouveauté. C'est pourtant un disque un peu bizarre à l'instrumentation et aux arrangements inusités. Des notes de piano graves et répétitives suffisent pour emballer Window Blues dans la mélancolie. Moins gaie que son titre le laisse entendre, Dance, Dance, Dance se meut d'abord grâce à ces percussions difficiles à identifier (tambour? crayons et bouteilles?), ce saxo désarticulé et ces choeurs qui pourraient avoir été inspirés par une musique africaine ou le folk nordique. L'atmosphère de la délicate Little Bit rappelle quant à elle l'hymne pop Young Folks de Peter, Björn&John. Ce n'est pas un hasard: Björn Yttling a coréalisé son disque. De la pop étonnante qui, sans avoir le tranchant de Björk, plaira aux peut-être aux fans de l'Islandaise et aussi sans doute à ceux de Feist et de Kate Bush. (Alexandre Vigneault)

À écouter: Little Bit



Lykke Li

Youth Novels

Warner

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5- Tous les sens, Ariane Moffatt

Faire un deuxième album après avoir connu du succès avec son premier, ce n'est pas facile. Il reste que c'est souvent au troisième disque d'un artiste qu'on sait vraiment de quoi il est capable. Avec Tous les sens, Ariane Moffatt ne fait pas que confirmer son énorme talent de musicienne et d'interprète, elle balaie également les doutes qui subsistaient quant à son talent d'auteure. Sa plume s'est en effet beaucoup raffinée. Évitant l'écueil des métaphores vaseuses et les formules maladroites que certains essaient de faire passer pour de la poésie, elle a construit ses chansons sur des textes justes et évocateurs. Une fondation solide pour des musiques imaginatives où elle orchestre un dialogue foisonnant entre ses goûts pour le jazz (un peu), les arrangements fins (violons, cuivres) et la musique qui tape ou qui grésille. Organique, électronique, romantique à ses heures et souvent gonflé de désirs charnels, Tous les sens est l'oeuvre faussement légère d'une artiste confiante, capable de faire virevolter ses tourments. On en ressort les oreilles comblées... avec l'envie d'y replonger sans attendre tant il est plein d'ondes positives et d'une envie de vivre qui fait du bien. (Alexandre Vigneault)

À écouter: absolument tout!



Ariane Moffatt

Tous les sens

Audiogram/Sélect

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6- Fleet Foxes, Fleet Foxes

Quelqu'un chez Sub Pop, le label américain indépendant qui a révélé Nirvana à la fin des années 80, a du flair pour les nouveaux talents folk-pop-rock. Après avoir mis sous contrat l'excellent Iron&Wine, le label présente ce nouveau quintette de Seattle, Fleet Foxes, et son impeccable premier album éponyme. Une écoute, et on tombe sous le charme. Le son du groupe est moins une évocation du passé que l'amalgamation, habile et souvent émouvante, d'une foule de références folk, country, pop classique des années 60 et 70. Les arrangements de guitares, mandolines, banjo, les ponctions de batterie qui injectent à l'occasion une bonne dose de rock, les délicates couches d'orgue donnent raison aux musiciens qui qualifient leur musique de «jams pop baroques». Ici et là, on croit reconnaître les Beach Boys (White Winter Hymnal) époque Pet Sounds/Smiley Smile, ou encore l'âge d'or de Crosby, Stills, Nash&Young (dès Sun it Rises, qui ouvre l'album) dans ces riches harmonies à trois voix, voire même un jeune Art Garfunkel lorsqu'un soliste prend la tête - c'est particulièrement frappant sur Tiger Mountain Peasent Song. Synthèse de l'Americana frappée par le soleil de la pop californienne, Fleet Foxes est de ces disques-surprises qui se laisse facilement apprivoiser. (Philippe Renaud, collaboration spéciale)



Fleet Foxes

Fleet Foxes

Sub Pop/Outside

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7- Everything That Happens Will Happen, David Byrne/Brian Eno

Tout compte fait, Brian Eno a très bien fait de léguer ses musiques de chansons à David Byrne afin que ce dernier complète le travail. Talking Heads meets Roxy Music? Il serait trop facile de résumer les choses ainsi, les évocations des deux groupes n'en demeurent pas moins évidentes. Brillamment, l'Américain s'est approprié le matériel enregistré par l'équipe du Britannique, il a plaqué textes et mélodies pour ainsi coiffer un véritable travail d'équipe. Très différente de My Life In The Bush of Ghosts (réalisée il y a 27 ans), cette collaboration virtuelle et transatlantique me semble plus que concluante. Comme l'a indiqué David Byrne en interview, ces airs impliquent souvent le chant choral et labourent quelques lopins de laboratoire sans que l'expérimentation ne l'emporte sur l'intelligibilité, sur l'émotion en général. Qui plus est, ces chansons regorgent de rythmes bien baraqués, de sédiments musicaux de toutes confessions - acoustiques, analogiques, numériques. Les premières écoutes de ce «folk electronic gospel» nous en apprennent peu sur ces maîtres de la pop de création, les suivantes permettent (vraiment) de découvrir une faune et une flore foisonnantes à travers cette onzaine de titres. (Alain Brunet)

À écouter: I Feel My Stuff

David Byrne/Brian Eno

Everything That Happens Will Happen


Today/Nonesuch


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8-The Odd Couple, Gnarls Barkley


En 2006, Gnarls Barkley, duo formé du chanteur Cee Lo Green et de l'arrangeur/producteur DangerMouse, nous avait laissés à St.Elsewhere, en pleine crise de schizophrénie et nous y revoilà, sur un The Odd Couple supérieur à son prédécesseur. Pop excentrique, soul psychédélique, électro névralgique qui scrute le désespoir humain, The Odd Couple en met plein les oreilles mais n'accroche pas forcément dès la première écoute - d'ailleurs, le dynamique premier single Run, s'il est représentatif de l'album, est loin d'être un succès à la Crazy (n'en cherchez point, d'ailleurs). Surprise, par contre: avec ses effluves de patchouli, The Mamas&The Papas est magnifique, tout comme le vrai single Going On ou la douce She Knows, et la voix de Cee Lo y est encore aussi poignante. C'est ce dernier qui porte l'album sur ses épaules, permettant à DangerMouse de laisser cours à son imagination, osant des structures rythmiques qui auraient trouvé leur place sur le dernier album de Björk. Soul mutante, funk à pitons nourri de samples de blues, de jazz, de vieux rock, The Odd Couple affirme la direction «pop alternative» du duo, avec éloquence. (Philippe Renaud, collaboration spéciale)

À écouter:Run (I'm a Natural Disaster)



Gnarls Barkley

The Odd Couple

Downtown Records/Atlantic/WEA

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9- Crystal Castles, Crystal Castles

Le nom d'un autre duo visant la piste de danse est sur toutes les lèvres et fait couler l'encre virtuelle sur la blogosphère. Crystal Castles, formé de la chanteuse Alice Glass et du multi-instrumentiste Ethan Kath, a une proposition des plus originales, et parfois difficile à suivre. De nature pop/dance électronique, le duo peut, sans crier gare, passer de ritournelles accrocheuses aux dérapages bruitistes qui arrachent les tympans. Par exemple, la première chanson de ce premier album éponyme expose la palette sonore du groupe de manière fort accrocheuse: les rythmes y sont rigidement disposés, les arpèges synthétiques agréables, le copier-collé des voix ingénieux, les synthétiseurs juste ce qu'il faut d'acide et d'évocateur pour nous faire hocher de la tête. Puis arrive Alice Practice, comme un poteau au détour d'un virage serré un soir de pluie verglaçante, qui hurle à vous glacer le sang sur des sonorités brouillonnes, on croirait Les Georges Leningrad se disputant un tournoi de Pac-Man. Heureusement, les moments plus pop surpassent les agressions sonores, et l'album se révèle une belle bibitte indie qui s'apprivoise sans trop d'efforts. (Philippe Renaud, collaboration spéciale)

À écouter: Untrust Us



Crystal Castles

Crystal Castles

Lies Records/Last Gang Records

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10- Gift of Screws, Lindsey Buskingham

Après un album solo acoustique (Under the Skin, 2006), on annonçait le retour au rock électrique de Lindsey Buckingham. Mais l'ex-Fleetwood Mac nous l'avait dit l'an dernier, pas question de se cantonner dans la formule rock consacrée «batterie et guitare lead». Son nouvel album Gift of Screws, qui était aussi le titre d'un disque solo qui n'a jamais vu le jour et dont certaines chansons se sont retrouvées sur Say You Will du Mac (2003), est aussi accessible qu'ambitieux, à l'image de ce surdoué de la pop, très bon chanteur et guitariste extraordinaire. Buckingham y étale son vaste talent dans des chansons acoustiques avec surabondance d'arpèges (Time Precious Time, Bel Air Rain), du rock vitaminé (Wait For You, à laquelle contribuent les solides Mick Fleetwood et John McVie, et la très années 60 Gift of Screws), et des chansons pop irrésistibles (Did You Miss Me, Love Runs Deeper et The Right Place To Fade, petite cousine de Second-Hand News qui ouvrait l'album classique Rumours). Ajoutez à cela des textes parfois intrigants et une réalisation dynamique ça sonne, mes amis! et vous avez là un albumdont vous ne vous lasserez pas rapidement. (Alain de Repentigny)

À écouter: Did You Miss Me

Lindsey Buckingham

Gift of Screws

Reprise/Warner

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