Après Lumières, paru en 2003, Louise Forestier ne voulait plus faire d'album. Sauf si elle en devenait la productrice et fusionnait ses idées avec celles de son fils unique: Alexis Dufresne, réalisateur et claviériste d'El Motor. En tandem, ils ont créé l'éphémère.

Pas d'choker pas d'collier... La première chanson du nouvel album de Louise Forestier, qui sera lancé mercredi, fait état d'une rencontre fortuite avec Jean Leloup dans un café du Mile End. La rencontre d'un Johnny libre comme l'air et d'une chanteuse qui ne veut plus avoir de contraintes de création ni d'horaire. Qui ne veut plus avoir de comptes à rendre. «Chaque fois que je rencontre Jean Leloup, ça me donne un bon feeling. Je suis ensuite retournée chez moi et j'ai écrit, comme dans un journal intime», raconte Forestier.

La chanteuse a griffonné ses rimes et états d'âme sans polir. À 65 ans, elle dit laisser l'inconscient la guider. «Comme lorsque je peins. J'ai décidé de ne plus écrire comme avant, de ne plus essayer de bien écrire. Ça devient plate. Tant d'artistes frottent trop. Il n'y a plus d'aspérité. Ça n'accroche plus nulle part. Les choses lisses ne font plaisir qu'à leur auteur. Francis Bacon a déjà dit: quand je peins, ce sont les accidents qui me font évoluer. Ce sont des cadeaux du ciel en création!»

Pas de contraintes donc, «pas d'choker pas d'collier», répétera à quelques reprises Forestier pendant l'entrevue. Autrement, il n'y aurait pas eu de nouvel album. «Ça ne me tentait plus d'en faire. Je n'avais plus de fun. En 40 ans, j'estimais avoir fait le tour du jardin. Je voulais me taire. Puis, je me suis posé la question: qu'est-ce qui me ferait retourner en studio? Faire un album avec mon fils!»

Création intergénérationnelle

Avec Éphémère, elle propose ainsi un album concocté à quatre mains (entre une chronique à l'émission radio-canadienne Je l'ai vu à la radio et le tournage d'un épisode du Négociateur) avec Alexis Dufresne qui a enrobé musicalement ses textes disparates. Toutes des créations, contrairement aux chansons qu'on trouve sur son précédent Lumières.

À l'époque de la grande demande, il y a trois ans, fiston vivait à Los Angeles. Il a d'abord pensé travailler avec maman à distance. Mais certains contrats de réalisation peu payants l'ont entre autres motivé à revenir à Montréal. Après des va-et-vient (la réalisation du dernier album de Daniel Lavoie et le projet El Motor), Dufresne a accouché de compositions qu'on n'aurait pas pensé coller à la voix de Forestier. «Sa voix est encore plus belle qu'avant, estime Alexis Dufresne. Mais c'est plus l'aventure musicale qui va impressionner. C'est à la fois planant (Loin d'ici), humoristique (J'aime un chien) et nostalgique (Mescal).»

«Avec Alexis, j'ai décidé de m'abandonner, ajoute la chanteuse. De faire confiance à l'enveloppe musicale. Les thèmes des chansons s'en vont de tout bord tout côté, mais Alexis a établi une ligne directrice avec son son et sa rigueur artistique. Et ce son me va bien.»

Et si se coller à la génération suivante nous assurait la pérennité, une carrière en constante mouvance, tout sauf éphémère? Car sur Éphémère, Louise Forestier chante aussi sur une musique de Catherine Major (Y avait-il quelqu'un), a notamment pour guitariste Steve Hill et pour compagnon de chant Pierre-Alexandre Bouchard d'El Motor. «La vie m'a amenée à faire du coaching dans le cadre du Festival en chanson de Petite-Vallée et Ma première Place des Arts, explique-t-elle. Depuis 15 ans, je fréquente de jeunes artistes. L'intergénérationnel, quand il est exempt de préjugés, est ce qu'il y a de plus puissant. Il y a alors un échange de conseils, de souvenirs, d'histoires, de couleurs et de savoir incroyables. Les deux côtés y gagnent.»

Forestier estime néanmoins en être «au troisième acte» de sa carrière, comme elle le disait au moment du lancement de Lumières, il y a cinq ans. «J'ai 40 ans de métier. Je vieillis. Je le pense de plus en plus que je suis éphémère.»