Les nouveaux enregistrements de symphonies de Mahler continuent de paraître à une fréquence quasi «industrielle».

Voici, par exemple, deux nouvelles versions de la sixième. Ce qui porte à près de 100 le nombre de versions (de studio ou de concert) qui en ont été réalisées depuis 1952, date de la toute première, signée Charles Adler.

Les deux nouvelles versions viennent de Valery Gergiev et l'Orchestre Symphonique de Londres et de Bernard Haitink et l'Orchestre Symphonique de Chicago. Chaque chef est présentement le titulaire de l'orchestre qu'il dirige ici et chaque enregistrement paraît sous l'étiquette maison de l'orchestre, respectivement LSO Live et CSO-Resound. Les deux enregistrements ont été réalisés l'automne dernier. «Recorded Live», lit-on sur les pochettes. Mais on n'entend aucun bruit de salle.

On note aussi l'absence, dans les deux cas, du sous-titre Tragique que Mahler avait pourtant donné à sa sixième Symphonie. Détails d'ordre textuel: les deux chefs font la reprise au premier mouvement et tous deux ignorent le fameux - et controversé - troisième coup de massue à la fin du dernier mouvement.

L'oeuvre compte quatre mouvements, mais l'ordre des deux mouvements médians, Scherzo et Andante moderato, varie d'un chef à l'autre. Haitink reste fidèle à la partition et joue le Scherzo en deuxième place, alors que Gergiev suit la nouvelle tendance qui est de placer l'Andante à cet endroit. Selon des spécialistes de Mahler, le compositeur aurait, après la publication de sa symphonie, exprimé le souhait que l'Andante soit joué en deuxième et que le Scherzo vienne ensuite.

J'ai d'abord écouté Haitink. Le chef néerlandais est perdant dès le départ. Comme dans ses précédents enregistrements de l'oeuvre avec le Concertgebouw, le Philharmonique de Berlin et le National de France , il ignore complètement l'indication «energico» qui figure en tête du premier mouvement. Résultat: sa Sixième démarre mollement. Quel contraste en écoutant tout de suite après l'impétueux Gergiev.

Marqué «wuchtig», c'est-à-dire lourd, le Scherzo chez Haitink est conforme à cette indication; chez Gergiev, il est à la fois lourd, plus rapide, plus détaillé et plus coloré. Seule accalmie dans cette oeuvre délirante, l'Andante est réussi dans les deux cas: intensément lyrique chez Haitink, plus passionné chez Gergiev. Haitink y obtient même des raffinements absents chez Gergiev.

Haitink revient hélas! à sa retenue j'allais dire sa pudeur - au finale qui, chez Gergiev, retrouve toute sa puissance explosive. En même temps, Gergiev crée ici une sorte de mystère qui échappe à son collègue. Intéressant détail additionnel, les cloches de troupeau innovation de Mahler en matière de couleur - ont ici une sonorité lointaine, comme venant d'ailleurs.

Choix facile, donc, entre une version décevante qui requiert deux compacts (Haitink s'étendant sur 90 minutes) et une version captivante qui tient en un seul (Gergiev se résumant en 77). Mais Gerviev ne modifie pas la discographie pour autant. L'une des meilleures versions des dernières années reste celle de Benjamin Zander et le Philharmonia de Londres, chez Telarc. Un coffret de trois compacts comprenant deux versions du finale (avec et sans le troisième coup de massue) ainsi qu'une conférence du chef sur l'oeuvre, avec exemples musicaux.

CLASSIQUE

MAHLER: SYMPHONIE NO 6. DEUX ENREGISTREMENTS.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE LONDRES. DIR. VALERY GERGIEV LSO LIVE, LSO0661

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE CHICAGO. DIR. BERNARD HAITINK

CSO-RESOUND, CSOR 901 807

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