Le Festival de Bayreuth a vécu une petite révolution dimanche en diffusant en direct sur écran géant et via Internet une représentation des Maîtres chanteurs, qui valent sur la «Colline verte» toujours des huées à la metteure en scène Katharina Wagner.

L'arrière-petite-fille de Richard Wagner, 30 ans, prétendante à la direction du festival, y a fait des débuts fracassants l'an dernier avec cette production en forme de commentaire libre sur la tension entre innovation et tradition dans l'art.

Wagner a situé ses Maîtres chanteurs de Nuremberg (1868), son unique drame comique, au XVIe siècle, dans cette ville de Bavière où un jeune homme (Walther) tente d'obtenir la main de celle qu'il aime (Eva) en acceptant de participer à un concours de chant.

Katharina Wagner ne se soucie guère de cette trame amoureuse. Elle s'intéresse au rapport à l'art de Walther, ici un provocateur qui manie le pinceau (sur un piano, la robe d'Eva...) à tout-va, et de Hans Sachs, écrivain va-nu-pieds plutôt que cordonnier.

La metteure en scène fait rentrer ces deux personnages, au IIIe acte, dans le rang de l'esthétiquement correct tandis que Beckmesser, le rival de Walther, accomplit le chemin inverse: derrière le pédant dogmatique se cachait un dadaïste, qui tombe la veste après la «bastonnade» (une débauche de peinture) de la fin de l'acte II.

Le spectacle est une déclinaison saisissante de ce que les Allemands appellent «Regietheater», ce «théâtre de metteur en scène» qui tente de donner une nouvelle lecture, parfois éloignée du texte sinon de l'esprit du livret, de la dramaturgie d'un ouvrage.

Dans les deux premiers actes, le propos se déroule avec une certaine efficacité dans un décor d'école d'arts pluridisciplinaire (peinture, théâtre, musique) avec bustes de grands hommes (Dürer, Kleist, Hölderlin, etc.): l'ironie est déjà mordante, mais après tout elle l'est aussi dans la musique de Wagner, qui tourne en dérision l'académisme de cette confrérie bourgeoise.

Katharina Wagner maîtrise moins son discours et son humour potache dans la dernière partie, quand Hans Sachs est malmené par les vieux maîtres de la culture allemande (Bach, Goethe ou encore... Wagner) devenus des grosses têtes salaces, ou lorsqu'il allume un autodafé dans une poubelle.

Aux saluts, Katharina Wagner vient récolter, en riant, sa volée de huées, moins prononcées cependant qu'il y a un an.

Les chanteurs sont mieux accueillis, en particulier le Beckmesser bête de scène du baryton Michael Volle et le Walther à l'aigu rayonnant du ténor Klaus Florian Vogt. Comme en 2007, la basse Franz Hawlata, sans éclat et fâchée avec la justesse, est à la peine en Hans Sachs. La direction musicale de Sebastian Weigle, honorable, est saluée avec tiédeur.

Mini-scandale et petite révolution pour Bayreuth, qui est entré dans le XXIe siècle en utilisant de nouveaux canaux de diffusion, afin de toucher un public plus large que celui du Festspielhaus (1974 places, alors que huit à neuf fois plus de billets pourraient être vendus pour chaque lever de rideau).

Grâce à des caméras discrètes, la représentation était accessible sur la Toile, pour 49 euros, à un nombre limité d'internautes.

Le festival n'a pas communiqué le nombre de connexions enregistrées mais a précisé que 15 000 personnes, sans compter les quelque 30 000 allant et venant sur le site, avaient suivi ces Maîtres chanteurs sur un écran géant installé sur la bien nommée Volksfestplatz (Place de la fête populaire) de Bayreuth.

Le code vestimentaire du Festspielhaus (cravate ou noeud papillon, robe de soirée) n'avait pas cours lors de cette opération gratuite qui n'aurait pas forcément déplu à Wagner, militant avant l'heure de la démocratisation théâtrale.

Reste que le Festival de Bayreuth, hors de son théâtre à l'acoustique parfaite, et de sa «Colline sacrée» que l'on grimpe comme on accomplirait un pèlerinage, perd de sa magie.