La demi-heure de Prokofiev - deuxième Concerto pour piano - que Valentina Lisitsa nous jeta au visage vendredi soir à l'Amphithéâtre de Lanaudière n'est rien en comparaison de l'orage qu'elle a fait s'abattre mardi soir sur la tête de 250 personnes dans la petite église de Saint-Paul.

Jamais, depuis les nombreuses années que je fréquente le Festival, je n'ai vécu une expérience comparable à cette Totentanz qui terminait le récital - qui «devait» terminer -, cette Danse macabre habituellement jouée avec orchestre mais que la blonde pianiste ukrainienne donnait dans la réduction pour piano seul, également de Liszt.

Quinze minutes d'un déploiement pianistique dépassant toute imagination, avec des bras partout au-dessus du piano, des glissandos qui n'en finissaient plus de monter et de descendre, une variété de couleurs et une puissance telles qu'on n'avait pas besoin d¹orchestre: il était là!

À 22 h, on n'en pouvait plus, plaignant surtout la pauvre pianiste qui se multipliait au milieu de la chaleur et des spots. Surprise: elle attaqua immédiatement le fameux Rêve d'amour, en fait le troisième Liebestraum, de Liszt encore, puis un deuxième Liszt en rappel, La Campanella, puis un troisième, rien de moins que Für Elise, de Beethoven, enfin un quatrième et dernier, la Valse Minute de Chopin.

Difficile, après un tel choc, de revenir sur terre et d'analyser froidement ce qu'on a entendu. La Totentanz fut une chose; ce qui précéda, une autre. La pianiste commence par un groupe Rachmaninov de cinq pièces qu'elle livre dans une sonorité massive, très russe. Le programme imprimé promet une Cathédrale romantique. Expression assez juste, bien que l'aigu du piano ainsi agressé soit dur et légèrement faux.

Pleins de mélancolie, ces Rachmaninov. Et chargée de dramatisme, avec d'éloquents contrechants, cette Appassionata qui suit (et jouée avec la reprise qu'on omet trop souvent). Comme redécouverts par une âme d¹enfant, les Kinderszenen de Schumann n'ont jamais paru aussi touchants; les derniers, aux délicats étagements de sonorités, sont à pleurer.

Quelques fautes de frappe ici et là. Sans importance. La Fantaisie de Thalberg sur Il Barbiere di Siviglia ignore les trois airs les plus connus et n'ajoute rien à un programme qui, dans son contenu et sa réalisation, nous a plus que comblés.

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VALENTINA LISITSA, pianiste. Mardi soir, église de Saint-Paul. Dans le cadre du 31e Festival de Lanaudière.

Programme :

Étude-Tableau op. 39 no 6, Préludes op. 32 nos 5, 12 et 10, Prélude op. 23 no 5 (1903-17) ­ Rachmaninov Sonate no 23, en fa mineur, op. 57 ( Appassionata) (1804-05) ­ Beethoven Kinderszenen, op. 15 (1838) ­ Schumann Grande Fantaisie sur Le Barbier de Séville de Rossini, op. 63 (1846) - Thalberg Totentanz, S. 525 (1860-65) ­ Liszt.