Le gouvernement Trudeau ne peut plus rester les bras croisés devant la crise sans précédent qui menace la survie même de la presse écrite au pays et la santé de la démocratie canadienne, a soutenu mercredi une délégation de représentants syndicaux et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Cette crise pourrait d'ailleurs emporter sous peu l'un des plus importants quotidiens du pays, le Toronto Star. Dans une entrevue choc publiée dans le quotidien The Globe and Mail, mercredi, John Honderich, le président du conseil d'administration de Torstar, propriétaire du Toronto Star, a carrément affirmé que «nous luttons pour notre survie» et que les jours du quotidien pourraient bien être comptés sans une aide gouvernementale. «Nous avons très peu de temps devant nous», a-t-il notamment laissé tomber.

Selon la présidente de la Fédération nationale des communications (affiliée à la CSN), Pascale St-Onge, cette sortie de M. Honderich illustre de manière sans équivoque l'urgence de la situation, surtout au moment où l'on doit s'attaquer au phénomène inquiétant des fausses nouvelles colportées par les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter.

«Il y a une crise importante qui sévit du côté de la presse écrite, et ce depuis de nombreuses années. Entre 2009 et 2015, au Québec, il y a environ 43% des emplois reliés à la presse écrite qui sont disparus. Du côté du Canada, on parle de 27 quotidiens qui ont fermé, 275 hebdos, et cela c'est sans compter la trentaine de quotidiens et d'hebdos qui ont fermé ou qui vont fermer à la suite de la transaction de Postmedia et Torstar», a souligné Mme St-Onge.

La délégation a choisi la journée de la Saint-Valentin pour remettre au premier ministre Justin Trudeau, au ministre des Finances Bill Morneau et à la ministre du Patrimoine Mélanie Joly une lettre qui a été publiée dans la plupart des quotidiens en novembre dernier et qui presse Ottawa d'intervenir. Cette lettre a recueilli des milliers de signatures.

La coalition exhorte le gouvernement Trudeau d'accorder une aide dès le prochain budget fédéral qui sera déposé à la Chambre des communes le 27 février. Entre autres choses, la coalition a proposé une formule qui verrait le gouvernement fédéral accorder un crédit d'impôt de 30% sur la masse salariale aux entreprises de presse à travers le pays - une forme d'aide évaluée à 270 millions de dollars par année.

Le coeur du problème pour la presse écrite demeure la chute des revenus publicitaires. À titre d'exemple, les quotidiens canadiens ont vu la moitié de leurs revenus de publicité - environ 1,5 milliard - fondre comme neige au soleil au cours de la dernière décennie. Pis encore, la majeure partie de ces revenus publicitaires a abouti dans les coffres de géants américains comme Google et Facebook, qui n'investissent pas dans le journalisme canadien.

«La presse, ce n'est pas une affaire, une business. Ce n'est pas une entreprise comme une autre. Le droit à l'information, c'est un droit qui est inscrit dans les chartes canadienne et québécoise, dans la déclaration universelle des droits de l'homme. C'est un droit fondamental et c'est aussi un pilier fondamental de la démocratie. La démocratie, ce n'est pas juste aller voter, c'est participer à un débat public et la place de la presse dans ce débat est prépondérante», a pour sa part affirmé Caroline Senneville, vice-présidente à la CSN.

«La presse écrite est un peu la base de l'écosystème journalistique. Les nouvelles développées par les journaux sont souvent repris sur d'autres plateformes, la télé, la radio, et bien sûr les plateformes numériques telles qu'elles existent. Si cette base de l'écosystème est en péril, c'est toute la structure journalistique qui est en danger», a-t-elle ajouté.

Accompagnant aussi la délégation à Ottawa, l'ancien chroniqueur politique à La Presse Vincent Marissal, qui est aujourd'hui directeur principal chez TACT Intelligence-conseil, a soutenu que la sortie inquiétante de John Honderich doit faire réfléchir le gouvernement Trudeau.

«Il y a péril en la demeure. On sait que ça va mal. Mais peu de gens savent à quel point la situation est périlleuse. On n'a pas le luxe dans un pays riche et démocratique comme le Canada de perdre des joueurs importants qui sont le lien essentiel entre la population et le gouvernement. En particulier ici au Parlement, les journalistes sont les yeux et les oreilles de la population qui ne peut évidemment pas être ici constamment. Les enquêtes journalistiques sont essentielles à la survie d'une démocratie. On en appelle au gouvernement de prendre ses responsabilités», a dit M. Marissal.

«Je suis un ancien journaliste. Cela fait d'ailleurs assez curieux pour moi de se retrouver de ce côté-ci du microphone. Je ne pensais pas quand j'ai commencé ma carrière de jeune journaliste il y a 28 ans que je me retrouverais ici un jour en train de faire un plaidoyer au gouvernement pour sauver la presse écrite qui vit des moments extraordinairement compliqués», a-t-il ajouté.

La Presse a rapporté le mois dernier que la ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly comptait procéder à «des annonces» dans le prochain budget afin d'accorder une aide financière aux médias écrits. Mais elle est demeuré vague sur les détails, se contentant de dire que la participation d'Ottawa serait structurée de façon à respecter l'indépendance journalistique des salles de rédaction.