Pierre-Yves Lord a la cote. J'allais le retrouver dans les studios de CKOI un samedi matin, là où il officie tous les week-ends, lorsque je suis tombé sur Pierre Pagé, un «vétéran» de la radio. «Tu vas en rencontrer un bon, m'a-t-il lancé en retenant la porte. Ce gars-là est extraordinaire. Il ne fait rien comme les autres.»

Pierre Pagé a raison. Pierre-Yves Lord, alias PY (prononcez pi-wouaille), a une manière assez personnelle d'exploiter la radio comme moyen de communication. Sa méthode repose sur une animation fignolée qui donne l'impression d'être totalement improvisée, un ton très intimiste et une exploitation fort judicieuse des réseaux sociaux pour rejoindre les auditeurs et leur donner la parole.

«Ce n'est pas si facile que cela de parler aux auditeurs. Dans ma vie, je tente d'avoir de bonnes valeurs. Je crois que les gens ressentent ça et veulent l'entendre. C'est ça, le secret de notre relation.»

PY ne s'en cache pas. Ses premiers modèles sont des animateurs-DJ américains survitaminés passés maîtres dans l'art d'offrir une animation spectaculaire. «Parfois, pendant l'émission, je vais sur YouTube et je regarde un ou deux clips avec ces animateurs. Ça me crinque. Ces gars-là ont un incroyable sens du rythme.»

Le rythme! Ce mot-là revient plusieurs fois dans notre conversation, qui a lieu une semaine après mon passage en studio. Le rythme, c'est ce que PY a tout de suite voulu maîtriser lors de son apprentissage au Collège radio télévision de Québec (CRTQ), lorsqu'il avait 17 ans. 

«Les cours finissaient à 16 h, mais moi je traînais là jusqu'à très tard. Je faisais des montages musicaux et je pratiquais mes animations. Le concierge venait me sortir de là avec sa moppe.»

La radio a toujours été une grande passion pour Pierre-Yves Lord. Tout jeune, il en écoute jusqu'à plus soif. C'est un besoin. «J'avais reçu un poste émetteur-récepteur en cadeau. Je sortais dans la rue et je captais des postes américains. Je capotais.» Vers l'âge de 12 ans, il se met à participer à des tribunes téléphoniques. «J'appelais les animateurs et je donnais mon opinion sur tout et sur rien. Je devais dire des choses insignifiantes, mais les animateurs aimaient l'idée que ça vienne d'un enfant.»

Jeune et baveux

Cet apprentissage de la radio passe par un détour du côté du difficile monde des DJ. «Après ma formation à l'école, j'ai appelé toutes les discothèques mobiles de mon coin. Avant de parler à la radio, je voulais apprendre comment animer le lancer du bouquet de la mariée.» Il se souviendra toujours du premier événement qu'il a animé. «C'était au bar Kashmir à Québec. J'avais fait croire au patron que j'avais 18 ans, mais ce n'était pas le cas. J'étais très nerveux. Au bout d'une heure et demie, j'avais passé tous mes disques. J'ai dû remettre les mêmes tounes une deuxième fois.»

Son premier véritable boulot dans une radio est celui de G.O. à CHIK-FM à Québec. «On allait dans des événements avec les auditeurs et on offrait des t-shirts.» Pierre-Yves Lord tanne ses patrons sans cesse: il veut animer en ondes. Un patron décide de lui confier la tranche de la nuit, de 3 h à 6 h. «C'est comme ça que j'ai fait mes premières armes. Le lundi, j'écoutais mes interventions avec lui. Il me corrigeait.»

Au début des années 2000, CKMF lui propose d'animer ses soirées. Le «gars de Québec» décide de faire le grand saut et de s'installer à Montréal. Une expérience qui demeure mitigée pour lui. «Je le reconnais aujourd'hui, j'étais jeune et baveux. Je prenais mal la critique de mes patrons. C'était immature de ma part. Le jour où Bush a décidé d'attaquer l'Irak, le patron a téléphoné en studio. J'étais sûr qu'il allait me dire qu'on allait présenter une émission spéciale. Il m'a plutôt annoncé que l'une des jumelles Villeneuve venait de quitter Star Académie et qu'il fallait que j'en parle. Je n'en revenais pas. Pendant que notre lecteur de nouvelles faisait son bulletin, j'ai mis des effets sonores de mitraillettes en bruit de fond. Disons que le patron en question n'a pas tellement apprécié.»

Devant ce talent en émergence, la télévision ne met pas beaucoup de temps à lui faire un appel de phare. C'est ainsi qu'il se retrouve à l'animation de Loft Story en 2008. D'autres portes s'ouvrent, cette fois poussées par Pierre-Yves Lord. «Lors d'un tournoi de poker, j'ai jasé avec Biz de Loco Locass. Il m'a dit qu'il était en train de composer une chanson sur le hockey pour La série Montréal-Québec. J'ai pris le téléphone et j'ai appelé Julie Snyder, qui produisait l'émission. Je lui ai dit que je voulais animer cela.» C'est ainsi qu'il se retrouve animateur de l'équipe de Québec. Et c'est ainsi que la productrice lui proposera l'animation d'Occupation double la saison suivante.

Une crème glacée trois couleurs

Pierre-Yves Lord est né en Haïti. Il a été abandonné par ses parents biologiques alors qu'il n'avait que quelques mois. «On m'a dit que ma mère et moi étions mal en point.» Le bébé est recueilli par des religieuses qui dirigent un orphelinat. Alors qu'il n'a pas encore 1 an, il est adopté par Monique et Yves Lord.

Une lettre envoyée par une religieuse de l'orphelinat aux futurs parents décrit le garçon comme un enfant de nature «plaisante». «Mes parents avaient déjà une fille. Après m'avoir accueilli, ils ont adopté une autre fille d'origine autochtone, une Micmaque de l'Île-du-Prince-Édouard. Chez nous, on est comme une crème glacée trois couleurs», dit-il en riant.

PY a-t-il déjà souffert du regard des autres? Il n'insiste pas trop là-dessus. «Peut-être que parfois des employeurs se sont dit que ça serait bien d'avoir un Noir sur le poster publicitaire de la station, mais je m'en fous un peu.» A-t-il déjà été victime de discrimination ou de racisme? 

«Récemment, un producteur de télé m'a dit qu'il n'était pas sûr que la madame de l'Abitibi souhaitait me voir dans sa télé. C'est ordinaire.»

Heureusement, ce type de commentaire est plutôt rare. Au fil des ans, Pierre-Yves Lord a été une source d'inspiration pour de nombreux jeunes. «Souvent des jeunes m'accostent dans la rue pour me dire que je leur donne du courage. Si je peux les encourager à prendre leur place dans ce paysage très blanc, alors tant mieux.»

Avoir une conversation avec Pierre-Yves Lord, c'est recevoir une dose de positivisme. A-t-il toujours baigné dans ce halo de bonheur? «À l'adolescence, j'ai eu une période plus difficile. Je me tenais avec de petits truands, mais en même temps, je faisais partie du conseil étudiant. Mes parents étaient inquiets, c'est sûr. Mais je suis sorti de cette mauvaise influence et j'ai gardé la meilleure.»

La nouvelle voie de la radio privée

PY entame sa troisième saison à CKOI. Son approche symbolise sans doute l'une des nouvelles voies de la radio privée, une radio qui n'a pas les moyens de la société d'État et qui s'est peut-être trop assoupie ces dernières années dans un moule fait de nombreux stéréotypes. Dans cet univers de publicités criardes, de musiques formatées et de grosses voix graves, Pierre-Yves Lord démontre que l'on peut être inventif et offrir une réflexion et des émotions aux auditeurs.

En compagnie de son complice, le producteur Pier-Étienne Lessard, il fabrique des moments de radio remplis de surprises. Enfermés dans la même pièce pendant cinq heures les samedis et dimanches, les deux hommes rivalisent d'ingéniosité et d'audace pour rendre la vie des auditeurs plus agréable.

«Je sais qu'ils ont vécu toutes sortes de choses durant la semaine. Notre rôle est de les faire décrocher, de les divertir. Et c'est merveilleux, car on me donne carte blanche pour faire cela.»

Pierre-Yves Lord fait la navette entre Québec et Montréal chaque semaine pour aller animer son émission. Il refuse de quitter la ville qui l'a vu grandir, là où il vit avec sa conjointe depuis huit ans et ses deux enfants de 4 et 7 ans. «Je prends le meilleur de Québec et le meilleur de Montréal. C'est parfait pour moi.»

Durant la semaine, à Québec, il gère sa maison de production Saturne 5. Le reste du temps, il songe à la manière dont il va surprendre ses auditeurs. À 38 ans, Pierre-Yves Lord continue d'être le petit garçon qui s'amusait avec son poste émetteur-récepteur. Sauf qu'aujourd'hui, la radio ne grésille plus, les auditeurs sont plus nombreux et les leçons de la vie ont fait de lui un animateur aguerri. L'animation du lancer de bouquet est loin derrière lui.

Radio PY, tous les samedis et dimanches, entre 11 h et 16 h, à CKOI