Ah, le 1er avril, cette sympathique journée où il fait bon piéger son entourage! Les réseaux sociaux peuvent cependant donner l'impression que le poisson d'avril sévit toute l'année. Outre des publications satiriques souvent absurdes, certains sites de désinformation fabriquent des histoires «crédibles» pour attirer des clics et générer des revenus publicitaires. Une situation qui préoccupe la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Leonardo et l'iceberg de l'intox

«C'est une surprise de taille pour tout le monde à Hollywood et certainement pour tout le monde à Baie-Saint-Paul: Leonardo DiCaprio a annoncé aujourd'hui être fatigué du train de vie hollywoodien et vouloir vivre à un endroit où les gens sont authentiques et où il sera inutile de douter de leur sincérité.»

Cette nouvelle, publiée sur le site McKenzie Post, s'est répandue comme une traînée de poudre 2.0 au lendemain de la cérémonie des Oscars, où la superstar avait - enfin - remporté les grands honneurs pour son rôle dans The Revenant.

Le buzz s'est même transporté - jouons franc jeu - dans les salles de presse, où l'on s'est empressé de valider la véracité de l'information.

Mais le temps de crier «je suis le roi du monde», cette balloune médiatique s'est dégonflée: l'histoire avait été inventée de A à Z.

Un mois plus tard, le maire de Baie-Saint-Paul, Jean Fortin, rigole en repensant à cette drôle d'histoire et aux journalistes qui l'avaient contacté pour savoir si c'était vrai.

«Faudrait revoir nos politiques de communications, puisque les fausses nouvelles ont plus d'effet que nos vraies.»

En fouillant un peu sur le site du McKenzie Post, on peut d'ailleurs lire un peu discrètement que «toutes les nouvelles du site sont de la satire ou de la pure fantaisie».

Une recherche rapide permet aussi de découvrir que le site a annoncé le faux déménagement de Leo (et de plusieurs autres stars comme Katy Perry et Tom Cruise) dans plusieurs villes du monde, suscitant des réactions extatiques semblables chez les lecteurs.

Question d'argent

Mais qu'est-ce qui peut bien pousser des gens à calquer un modèle journalistique plausible pour créer de toutes pièces des histoires et les publier sur les réseaux sociaux? L'argent.

«Des gens mal intentionnés se sont rendu compte que les gens ne vérifient pas leurs sources et qu'ils peuvent faire des milliers de dollars en publicité. Ça fonctionne et c'est ça le problème», tranche le journaliste Jeff Yates, alias L'inspecteur viral, qui, depuis plus d'un an, s'est donné comme mission de départager le bon grain de l'ivraie virtuelle au quotidien Métro.

On lui doit d'avoir désamorcé plusieurs fausses bombes telles qu'une vidéo tournée à l'intérieur du métro de Bruxelles durant les attentats, la mort d'un dauphin à cause de touristes se prenant en selfie avec lui, la fermeture de tous les magasins Walmart du pays ou le refus de servir une femme dans une succursale Starbucks d'Arabie saoudite.

L'inspecteur viral a publié environ 150 billets depuis son entrée en service. «Je pourrais faire ça à plein temps. Le phénomène est généralisé dans le monde, mais je me limite au français», explique Jeff Yates, qui invite les gens à faire preuve de prudence avant de partager n'importe quoi sur les réseaux sociaux.

Contrairement à des sites satiriques assumés comme La Pravda, Le Navet ou Le journal de Mourréal, il n'y a aucune arrière-pensée ou valeur ajoutée à ces sites de désinformation, déplore Jeff Yates.

«Leur but est juste d'être partagé, d'augmenter leur nombre d'abonnés pour augmenter leur réseau de diffusion.»

Au Québec, ces pièges à clics proviennent de sites tels que l'actualite.co, le nouveau venu ICN (qui copie l'identité visuelle de LCN) ou KrFitness. Ce dernier est un blogue géré par un certain Keven Roy (près de 150 000 abonnés sur sa page Facebook), qui avait notamment inventé une histoire d'octroi de faux permis de conduire par le gouvernement aux réfugiés syriens, profitant d'un sujet sensible qui divisait la population. Des milliers d'internautes enragés ont même noirci une pétition en ligne pour protester contre cette fausse mesure gouvernementale.

La Presse a tenté, sans succès, d'obtenir une entrevue avec l'auteur de ce blogue populaire, de même qu'avec les auteurs du McKenzie Post.

La FPJQ préoccupée

Le phénomène préoccupe la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), qui avait notamment organisé un atelier à ce sujet lors de son dernier congrès. «Malheureusement, on ne peut pas faire grand-chose pour contrer la prolifération de ces sites. Ça sème la confusion chez les gens», déplore la présidente Lise Millette.

Elle s'inquiète également de la circulation de fausses nouvelles dotées d'une facture visuelle copiée sur celles de vrais médias comme La Presse ou TVA. Une de ces histoires - de très mauvais goût - rapportait l'arrestation de Mike Ward pour le meurtre de Cédrika Provencher. «Là, on n'est plus dans la désinformation: on tombe dans l'usurpation. C'est une grosse préoccupation», résume Mme Millette.

De son côté, le Conseil de presse du Québec souligne n'avoir reçu aucune plainte concernant de fausses nouvelles. «Et on serait un peu embêté si c'était le cas», admet le directeur des communications Julien Acosta, précisant que l'organisme traite des plaintes concernant le travail des journalistes.

«Ça pourrait être embêtant si c'est un produit qui a toutes les apparences du journalisme et dont le but est juste de tromper les gens», admet M. Acosta, qui encourage les organes de presse à engager des recours juridiques pour contrer l'usurpation.