Après les attentats qui ont secoué Bruxelles, hier, des caricaturistes du monde entier ont pris leur crayon pour envoyer des dessins d'espoir au peuple belge, frappé en plein coeur de sa capitale. À La Presse, Serge Chapleau a travaillé tout l'après-midi sur sa caricature, refusant toutefois de s'empresser de la publier en ligne dans le cadre d'un «concours de vitesse». Réflexion sur le rôle de l'art en réponse au terrorisme.

Dessiner l'horreur n'a rien de drôle ni de facile. Quand il s'est assis à sa table de travail, hier, Serge Chapleau a tout de suite pensé au célèbre Manneken-Pis. Or, plutôt que d'uriner, l'enfant emblématique de Bruxelles était en train de pleurer.

Ce n'est pas la première fois que le caricaturiste de La Presse, qui travaille au quotidien de la rue Saint-Jacques depuis 1996, doit trouver une façon sobre et originale de répondre aux terroristes par la bouche de ses crayons. Or, pas question pour lui de se mettre de la pression afin de publier rapidement son croquis sur les réseaux sociaux.

«Moi, je date d'avant les réseaux sociaux. Je trouve qu'on faisait à l'époque des dessins plus songés, plus réfléchis. Maintenant, les explosions ne sont même pas encore terminées qu'il y a déjà des dessins qui circulent. [...] Ça va vite en tabarouette et parfois [des gens] se trompent. On le regrette ensuite», explique-t-il.

«Des journées comme aujourd'hui sont plates et tristes. Nous sommes bien sûr dévastés par l'événement, mais surtout par la répétition de ce type [d'attaque]. Il n'y a rien de drôle à dessiner dans ces circonstances.»

Pendant l'entrevue, le caricaturiste peaufinait son Manneken-Pis sur son écran tactile. Avec la révolution numérique, qu'il a embrassée comme tout le monde autour de 2005, il ne dessine pratiquement plus au crayon mine, même si sa vieille table à dessin est toujours installée dans le coin de son bureau vitré, comme le témoin d'une autre époque.

«Parfois, je n'ai même plus le goût de réagir»

Au cours des dernières années, les attentats terroristes se sont bousculés, ce qui a plusieurs fois forcé le caricaturiste à trouver une réponse sensible à l'actualité sanglante du jour.

En 2006, Chapleau s'était dessiné entouré d'une ceinture de crayons, dans un croquis coiffé de la mention «Une arme de destruction massive?» À l'époque, le monde se demandait s'il fallait ou non publier des caricatures dépeignant le prophète Mahomet, comme l'avaient fait des caricaturistes danois.

En novembre dernier, après les attentats qui ont frappé de plein fouet la jeunesse à Paris, Chapleau ne savait plus quoi dessiner. «Parfois, je n'ai même plus le goût de réagir», dit-il d'un ton désolé. Cette journée-là, il avait cédé le carré que lui réserve la section éditoriale à un simple fond noir, indiquant la date.

Selon lui, un caricaturiste doit être posé et sobre après des attentats terroristes. Pas question de tomber dans l'humour noir ni de caricaturer des personnages controversés, comme la présidente du Front national, Marine Le Pen, en voyage au Québec cette semaine.

«Ce serait facile de la dessiner et de lui faire dire quelque chose du genre "je vous l'avais dit"», explique-t-il devant un croquis de la politicienne d'extrême droite. Or, un tel dessin aurait pu être qualifié de mauvais goût, croit-il, s'il avait été publié au lendemain des attentats.

Selon le caricaturiste, «tout est une question de timing». Surtout quand l'horreur devient réalité.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Au cours des dernières années, les attentats terroristes se sont bousculés, ce qui a plusieurs fois forcé Serge Chapleau à trouver une réponse sensible à l’actualité sanglante du jour.